« Praga Magica » d’Angelo Ripellino

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Prague… Depuis que j’y ai posé le pied cette ville m’a véritablement envoûté. Une atmosphère spéciale, une beauté indéniable, un passé riche et des mythes à foison. Depuis, j’essaie de comprendre la ville, ses légendes, l’histoire de la Bohème. Et ce livre est un magnifique aperçu de la Prague mystérieuse telle qu’on ne la reverra malheureusement plus. Mais dont peut encore parfois humer le parfum ensorcelant s’élever au-dessus de la Vltava, sur le pont Charles ou sur l’île de Kampa.

 « Je veux […] tisser un livre selon mon caprice : un conglomérat d’émerveillements, d’anecdotes, de qualités concentriques, de brefs rajouts et de folles rallonges ». Angelo Ripellino est un conteur habile. L’un de ceux qui se sont appropriés Prague (Praha) et ses fantômes, pour en ressortir la subsantifique moëlle à travers maints stratagèmes issus d’une érudition assez incroyable quant à l’histoire de la cité vltavine. Le récit en lui-même ressemble à un monologue qui se mue parfois en conversation avec le lecteur (« toi, lecteur ») en apparence plutôt décousu, passant d’un sujet à l’autre, d’une légende à l’autre sans sembler s’y attarder. Et pourtant… L’auteur dévoile à travers les arts qui s’y sont exprimés, les légendes qui y sont nées, les saints adorés, et ce avec une verve éblouissante mais néanmoins lucide la complexité de l’histoire de la ville, où s’interpénètrent en de sombres tourbillons 3 cultures et 3 courants de pensées différents : le tchèque, l’allemand et le juif. Ville-labyrinthe, ville démoniaque, ville au cœur de l’Europe et donc des carrefours de civilisations, Prague est un aimant fascinant.

 Mais d’où vient cette fascination ? De l’époque irrationnelle du règne de Rodolphe II Habsbourg (1576-1611) qui a jeté sur la ville une atmosphère emplie d’alchimie, de mystères, de recherches de la pierre philosophale ? Rodolphe II, souverain hypocondriaque qui a fait venir à la cour de Bohème tous les alchimistes de renom, imposteurs et autres reluqueurs de destinées tels Tycho Brahe au nez coupé remplacé par une prothèse en or, l’astronome Johannes Kepler ou encore l’anglais John Dee ? Qui aurait cloitré ces chercheurs dans la célèbre ruelle d’or aux pieds de son château de Vysherad ? Rodolphe II aux collections d’œuvres d’art et d’objets divers et incongrus colossales et sous le rêgne duquel Prague est devenue l’un des centres artistiques européen les plus couru…Vient-elle, cette fascination, de la littérature dite pragoise où se côtoient Franz Kafka, Gutav Meyrink, Karel Capek et autres moins renommés et dont le caractère sombre, absurde, ressort par tous les pores ? Vient-elle du Rabbi Löw qui a insufflé la vie au Golem en lui donnant le shem ? De la possible vie qu’y aurait mené le docteur Faust ? Vient-elle de la Vltava qui coule sous ses ponts, dont le fameux pont Charles IV orné de maintes statues représentatives de l’art baroque de Bohème ?

A travers toutes ces pistes (et bien d’autres, comme l’ancien quartier juif de Josefov, dédale de bouges et de brocanteurs fréquenté par la pègre, les putains et les laissés-pour-compte), l’auteur déambule en noctambule patenté à travers les mythes et légendes fondatrices de la ville mais aussi à travers son histoire, interpénétrant l’une à l’autre de façon non rationnelle, mais qui au final envoûte et nous apprend beaucoup de chose sur ce fameux « esprit pragois ». Récit humaniste n’hésitant pas à poser quelques questions, attaché à la redécouverte d’un peuple qui, depuis la défaite de la Montagne Blanche en 1610 (lors de la guerre de 30 ans) vit comme en souterrain, accablé par le joug des vainqueurs, qu’ils soient catholiques à l’époque ou soviétiques lors de l’écriture du roman (Praga Magica a été publié en 1973, soit 5 ans seulement après l’écrasement du « Printemps de Prague » par les chars soviétiques). On découvre au fil du livre les mythes fondateurs et aussi une magnifique déclaration d’amour dans un style recherché mais néanmoins fluide (quoique parfois un peu complexe) à la ville de Prague, de son génie et de son atmosphère particulière. Angelo Ripellino nous a pondu un livre qu’on peut lire suivant 2 angles : purement romanesque (roman historique), ou bien livre initiatique, labyrinthesque qui, sous couvert d’une construction un peu bancale évocant les dialogues de soiffards attablés en nombre dans ces pages, nous promène au gré d’une discussion poétique et fort suggestive à travers Prague et ses quartiers. Une belle découverte de la Prague magique et mystérieuse.

Petit reproche : ne pas avoir listé à la fin les références (très très nombreuses) présentes dans le texte, ça simplifierait beaucoup les choses pour approfondir la question et éviterait de rechercher dans le livre les occurrences citées.

(Pocket / collection Terre Humaine / 394 pages)

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