Le livre de ma mère d’Albert Cohen

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Annee de sortie: 2010

Diable ! Comment l’auteur de Belle du seigneur, pavé sinueux au style à la fois empâté et fulgurant, peut-il avoir écrit ce court (174 p.) et vibrant hommage à sa « si sevrée des joies du monde ». C’est absolument admirable, je ne vois pas d’autres mots pouvant mieux retranscrire ce que les commentateurs cités en 4ème de couverture n’ont manifesté qu’avec trop peu d’engouement. Voilà à proprement parler le livre qu’il faut conseiller à qui ne sait pas encore reconnaître tout ce que la littérature a de grand par les sentiments dévastateurs auxquels elle peut suprêmement donner naissance.Loin d’un exercice de style s’embourbant dans la complainte rageuse et vaine, Albert Cohen transcende ses douleurs, ses regrets et ses manques de sa disparue par une langue qu’il s’est pleinement approprié afin de lui faire entonner un chant enivré et désespéré à travers une introspection qui pourrait paraître candide si elle n’était pas la parfaite expression de la plus tendre pudeur.

Il y a les livres qui prêtent à penser, ceux qui se contentent de divertir et il y a ceux qui nous font habiter un bref instant hors du monde. Vous ne pensez plus à ce que vous venez de lire, vous en êtes imprégné.Je me permettrais simplement de citer le premier des nombreux courts paragraphes dont pas un ne mourra – pour paraphraser Rostand – car sa musicalité est d’une sobriété et d’une émotion captivantes :
« Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. Ce n’est pas une raison pour ne pas se consoler, ce soir, dans les bruits finissants de la rue, se consoler, ce soir, avec des mots. Oh, le pauvre perdu qui, devant sa table, se console avec des mots, devant sa table et le téléphone décroché, car il a peur du dehors, et le soir, si le téléphone est décroché, il se sent tout roi et défendu contre les méchants du dehors, si vite méchants, méchants pour rien ».

Dois-je préciser, en attribuant à ce terme toute sa complète dimension, que nous en sommes en présence d’un chef d’œuvre ?

Albert Cohen – Le livre de ma mère
1954, éditions Folio

Chroniqueur

Darkantisthène

Il est né, il a chroniqué, il est mort, aurait pu dire Heidegger si... j'étais mort, si Heidegger était vivant et s'il s'était intéressé à ma prose autant qu'à celle d'Aristote. Et il n'aurait pas été à une connerie près le père Martin parce qu'avant de chroniquer, et après être né, figurez-vous que j'ai vécu ; et écouté de la musique.

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