Colour Haze

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Annee de sortie: 2010
Colour Haze devrait figurer dans tous les dictionnaires comme synonyme naturel des termes groove, vibe et feeling. Echappé de la ruche des disciples d’Hendrix, le trio bavarois a su voler de ses propres ailes pour essaimer à son tour une discographie aussi fournie qu’exemplaire. Sur le dernier album en date, Tempel (2006), le groupe ne prend personne à contrepied mais continue d’enchanter son homme avec un panier de compositions tantôt fraîches et débridées, tantôt intimistes et douillettes. Au fil des écoutes s’installe la conviction que Colour Haze a acquis une maîtrise quasi professorale de son univers et de la façon de véhiculer ses émotions. Stefan Koglek (guitare/chant) partage-t-il ce point de vue? Il a accepté de se raconter longuement à ce sujet et à d’autres. Merci à lui.

Me cèderais-tu ta copie de Coping with the Urban Coyote d’Unida contre une chronique de rêve?

Quelle drôle d’idée… C’est pas trop mon genre d’acheter les chroniques en fait. Ca en dit long sur l’estime que tu portes à Colour Haze par rapport à Unida, ha ha… Et si j’arrêtais de répondre à ton interview, du coup? Bon, tu as de la chance que je sois un mec sympa. Au sujet de l’album en question, je ne le vénère pas plus qu’un autre, mais je mets un point d’honneur à ne jamais me séparer de mes disques! Avec comme résultat des piles gigantesques d’albums que je n’ai quasiment jamais écouté, et d’autres que je n’aime même pas. Bien sûr Unida est dans la pile des bons albums. Quoi qu’il en soit, je ne revends jamais rien, pas même les trucs les plus merdiques, parce que je pars du principe qu’un jour un de mes potes aura envie de savoir à quoi ressemble Saga ou le Genesis des années 80. Je dois être atteint de collectionnite…

Il y a quelques mois, tu craignais qu’il soit quasiment impossible de surpasser votre album éponyme. Aujourd’hui Tempel règne sur la planète son. Qu’en est-il du “quasiment”?

A mon goût personnel, le s/t reste dans une dimension à part. Tempel est un disque différent, qui nous a montré qu’il reste toujours quelque chose à améliorer. Il a aussi montré que les préférences des gens varient vis-à-vis de nos albums. Nous évoluons constamment et sommes actuellement en train de composer pour notre prochain album.

Le nouvel album perpétue les éléments traditionnels de Colour Haze. Le son chaleureux, le grain “vynil”, et les lumineuses passes d’armes instrumentales à trois. Dans le même temps, l’album met parfois le côté festif et joueur entre parenthèses au profit de davantage de sobriété et de méditation – tout en gardant un karma positif. Retrouves-tu un fond de vérité dans cette description? De ton point de vue, est-ce qu’un facteur spécifique, conscient ou non, est responsable de ce léger changement d’humeur dans votre musique?

Je vois tout à fait ce que tu veux dire. Tempel a un contenu et une approche très différents du s/t, même si les deux sont voulus totalement positifs. Bref, là où le s/t renvoie une approche très consciente de son environnement, Tempel est beaucoup plus ramassé sur une personnalité. C’est sans doute la raison pour laquelle l’écriture et les arrangements sont structurés de façon plus dense. Ces approches sont toujours sous l’influence de ce qui nous touche de l’intérieur et de l’extérieur à un instant donné, et nous essayons d’enrichir tout stimulus potentiel avec nos propres expériences et les informations qui s’y rapportent.

Tout bien pesé, êtes-vous entièrement satisfait avec le produit Tempel, autant en termes de contenu musical que d’accompagnement visuel? Rétrospectivement, changerais-tu quoi que ce soit à votre manière de procéder sur cet album?

La réalisation d’un album est toujours un processus complexe, avec plein de facteurs difficilement contrôlables. J’aurais bien aimé que la naissance de “Temple” soit moins douloureuse et problématique. Entre autres choses j’ai été malade comme un chien pendant les sessions d’enregistrement. Par comparaison, produire le s/t avait été une partie de plaisir. Quoi qu’il en soit, l’expérience et beaucoup de boulot nous ont permis de faire en sorte que tous les soucis que nous avons pu rencontrer pendant la composition, l’enregistrement et le mix, ne soient pas décelables pour l’auditeur. Maintenant, je préfère ne pas trop essayer d’imaginer ce qu’aurait pu donner l’album si tout avait fonctionné comme sur des roulettes. J’essaye de tirer les enseignements de tout ça pour le prochain album. En définitive, “Tempel” a été notre album le plus contraignant à faire, et ce dès la phase de conception des morceaux.

Comment conçois-tu la place des vocaux dans votre musique? Ils semblent surtout dessiner des leitmotivs et soutenir des dynamiques plutôt que porter un message concret.

Les vocaux sont censés être partie intégrante de la musique, et c’est donc la place qu’ils occupent. Procéder autrement, comme c’est souvent le cas dans les musiques populaires, reviendrait à traiter la musique comme un arrière-plan pour les vocaux, ce qui ne correspond pas à notre intérêt et à notre vision.

Quelle est la part de l’improvisation dans une composition typique de Colour Haze? A vue de nez, quelle proportion d’un album existe sur le papier avant d’entrer en studio par rapport à ce qui naît des jams de dernière minute? Vos morceaux sont-ils essentiellement construits sur des riffs ou évoluent-ils plutôt le long de colonnes rythmiques?

Les rythmes et les riffs proviennent de la même source, je dirais. Il n’y a pas de frontière très nette entre les deux. Nos chansons ont souvent leur origine dans un thème construit ou improvisé sur des grooves qui prennent leur forme finale avec le temps. Lorsqu’il s’avère nécessaire de rajouter certaines parties comme un refrain, un bridge ou une conclusion, je les compose en général plus tard. L’idée est de laisser la musique glisser doucement vers sa forme idéale à travers l’improvisation, mais une fois que c’est fait il n’y a plus beaucoup de place laissée au hasard. Sur scène, une improvisation réussie est quelque chose de très difficile à accomplir, et je préfère en général interpréter la musique dans sa forme idéale qu’ennuyer les gens avec des expérimentations vaniteuses – en vérité j’ai rarement vu des groupes proposer des improvisations pures qui soient vraiment excitantes; la plupart s’en tiennent à des jams basiques, ce que je trouve assez barbant pour ma part. Néanmoins, nous sommes conscients des bonnes vibrations que peut déclencher une bonne impro live, donc nous nous efforçons de laisser un peu d’espace pour ça quand l’ambiance dans la salle s’y prête, mais donner aux gens un bon show reste la priorité. Dans certaines chansons, comme “Peace, Brothers & Sisters”, les solos de guitare ont une forme très souple au départ et chaque interprétation nouvelle donne un résultat plus ou moins différent. A l’opposé, un morceau comme “Aquamaria” est parti d’une improvisation totale en studio, et comme cette version a accouché d’un résultat heureux, nous nous en tenons à elle pour nos prestations. Et puis bien sûr nous avons des morceaux issus d’une approche plus “classique”, composés à la maison et travaillés pendant les répétitions (“Solitude”, “Did El It” ou “Gold & Silver”).

Je suis toujours bien embêté quand j’ai à expliquer à quelqu’un ce à quoi Colour Haze ressemble. Même si au bout du compte votre son est relativement facile à identifier, il renferme des qualités qui le distinguent de tout ce qui se rattache de près ou de loin à la communauté stoner. De toute évidence des noms comme Jimi Hendrix, Black Sabbath ou Kyuss viennent à l’esprit. Peut-être peux-tu remettre tout ça en ordre?

Non, c’est ton job, ha ha… Pour nous, c’est juste notre musique à nous, et je ne veux pas trop y coller des étiquettes. Bien entendu, nous sommes influencés par tout ce que nous écoutons, et chacun de nous écoute des choses différentes. Parfois les influences sont facilement repérables dans une chanson donnée, et parfois tu serais surpris de savoir ce que nous avions à l’esprit à l’origine. Bref, notre façon de jouer nous est propre, je pense. Kyuss a été important bien sûr, Black Sabbath pas tellement, Hendrix l’est toujours. Mais il y a tellement d’autres musiques dont on peut retrouver des traces chez Colour Haze: de la musique classique au jazz en passant par les vieux vynils de musique folk de tous horizons. Beaucoup de choses des sixties naturellement, mais aussi des choses plus récentes, pas mal d’indie – plus rarement du metal…

Ta technique de guitare très personnelle est une marque de fabrique en elle-même. J’imagine que tu as récupéré beaucoup d’influences auprès des dieux des années 60/70. Peux-tu revenir sur le parcours qui a vu la création de ce son assez inimitable: chaud et psychédélique, mais ponctué d’un grain abrasif?

A la base je suis autodidacte. D’un point de vue plus large, j’ai juste emprunté chez chaque source ce qui m’intéressait. J’ai commencé à m’exercer à la guitare acoustique sur des manuels de solfège à l’âge de 11 ans, ce qui m’a rapidement amené à écrire mes propres compos. J’ai obtenu ma première guitare électrique à 13 ans et ai continué à apprendre des solos et des riffs avec des tablatures et des cassettes, en commençant par du Hendrix, qui me fascinait déjà à l’époque – j’en ai joué des journées entières, jusqu’à ce que mes doigts saignent littéralement. Puis je suis passé à autre chose: des riffs de Clapton, Mark Knopfler, Santana, John McLaughlin, Keith Richards ou Robert Fripp. Je me suis mis à écouter énormément de disques: essentiellement du blues rock classique des années 60/70, du ZZ Top, Taste, Peter Green ou Ten Years After… J’ai commencé à prendre des leçons de guitare classique qui m’ont rapidement ennuyées, donc j’en ai retenu ce qui me semblait utile, comme une technique de main gauche potable ou l’utilisation de des doigts de la main droite pour le picking. Plus loin, je me suis intéressé à la théorie musicale à travers des bouquins, et j’ai expérimenté des gammes de plus en plus biscornues. Tout ce que j’apprenais, j’essayais de le transposer dans ma propre musique. De cette façon, j’ai développé une approche assez personnelle par une pratique intensive et un tri délibéré entre ce qui m’intéressait et ce qui me gonflait. D’autre part, j’ai la chance de venir d’une famille de musiciens. Mon père (guitare) et mon oncle (batterie) jouaient dans des groupes. Ma mère achetait beaucoup de disques, donc j’étais immergé dans la musique tout le temps. Dès mon plus jeune âge, mes parents m’ont inscrit à des cours de rythmique – une approche assez innovante dans les années 70 – avant de m’offrir une batterie à l’âge de 4 ans. J’ai aussi appris la basse à l’école pendant quelques années. Mon père m’a inculqué très tôt l’importance de créer un style et un ton personnels. Mais c’est surtout vers 20 ans, après en avoir fini avec le gros de mon éducation technique, que j’ai commencé à me concentrer là-dessus, à rechercher les bons mouvements et une expression distinctive. C’est à partir de là que j’ai composé mes premiers trucs concrets, et depuis mon but est de devenir le musicien le plus complet possible. Peut-être y parviendrais-je quand j’aurais 80 ans. Entre temps j’ai fondé un label et suis devenu producteur…

Les titres de chanson à un seul mot sont une spécialité de Colour Haze. Est-ce délibéré? Est-ce que chaque chanson se voit assigner un thème ou objet précis dont elle doit rendre les caractéristiques et les nuances?

Les titres à un seul mot sont une sorte d’obsession sans but bien réfléchi – je n’y ai jamais réellement pensé pour être honnête. Peut-être que j’aime tout résumer avec une seule notion.

Ca pourra surprendre, mais si je devais retenir une chanson qui illustre de la façon la plus globale ce que représente Colour Haze pour moi, j’opterais pour “House of Rushammon” de l’album Ewige Blumenkraft. Y a-t-il une anecdote particulière que tu pourrais nous révéler au sujet de ce morceau?

Rien de très spécial non. Je l’ai composé en 1996, à une époque où ma vie était un peu en miettes. Je squattais dans le local de répétition. Les paroles ont été écrites à l’origine par notre ex-chanteur Felix. Je les ai réadaptées un peu, mais je ne sais pas exactement ce qu’elles signifient, ha ha… C’est juste une bonne chanson, et comme les gens nous la demandent parfois, il nous arrive de la rejouer sur scène de temps à autres, bien que ce vieux matos ait un côté très distant à nos yeux maintenant.

Une question un peu abstraite que je me pose au sujet de nombreux groupes: dans la mesure où vous disposez désormais d’une discographie assez vaste et d’un cercle de fans plutôt conséquent, comment concevez-vous la création d’un nouvel album en relation avec ces facteurs? En d’autres termes, quelle est l’importance de ressentir qu’un album s’inscrit dans une continuité vis-à-vis de tous les précédents? Vous arrive-t-il de cogiter par avance sur la façon dont votre musique sera perçue par les fidèles de la première heure? En fait, considérez-vous toute nouvelle musique comme une pierre de plus de votre grande maison, ou plutôt comme les fondations d’une nouvelle, plus ambitieuse peut-être?

Je considère toute nouvelle musique comme une des pierres de notre grande maison, car je ne délaisserai jamais ce qui était là avant. Ce qui compte avant tout, ce n’est pas tant la continuité vis-à-vis du vieux matériel que la continuité vis-à-vis de nous-mêmes. Le fait de devoir faire attention à ce qui pourrait ou non plaire aux fans est un facteur parfois handicapant, mais impossible à éluder complètement. C’est une situation assez nouvelle pour moi, vu que pendant la majeure partie de ma vie musicale, j’ai créé des trucs qui n’avaient quasiment aucun public. Mais en définitive, le seul facteur vraiment important, c’est de faire ce qui nous semble nécessaire, qui sonne juste et qui pulse.

Que peut-on attendre d’un show de Colour Haze? Je me représente une sorte de feeling Woodstock, le soleil couchant, le sable balayé en spirales par une brise chaude, des hordes de jeunes pucelles hippies en transe…

Nous avons fait quelques open-air qui collent assez bien à ta description. Nous aimons aussi jouer dans des clubs. Beaucoup de gens nous disent que nous sommes meilleurs sur scène que sur disque.

Allez-vous enfin vous produire en France?

Nous avons essayé de booker deux shows en France lors de notre tournée en décembre dernier, mais ça n’a pas fonctionné, bien que certaines personnes très sympa aient fait de leur mieux pour mettre quelque chose sur pied. Il semble que la France soit un endroit difficile pour des groupes comme nous…

Ton label Elektrohasch dira peut-être quelque chose aux initiés, mais pour beaucoup une petite présentation s’impose. Peux-tu revenir sur les circonstances de sa naissance, ainsi que sur les groupes qui le composent aujourd’hui?

Dans la mesure où aucun label de taille respectable n’a jamais voulu signer Colour Haze, nous avons décidé de nous autoproduire. Ca a commencé avec le CD-R Periscope et la version LP de CO2, en 2000. De cette façon, je suis entré en contact avec des collectionneurs, des mailorders et des magasins. J’ai pris en charge l’essentiel de la promotion, car les petits label avec lesquels nous travaillions à l’époque (Monsterzero, Nasoni…) n’avaient pas trop les moyens de s’en occuper. Au fur et à mesure, j’ai pris conscience de la demande qui existait parmi les fans pour de bons albums underground impossibles à trouver, et j’ai vu les difficultés rencontrées par des groupes géniaux comme Hypnos 69, Rotor ou Raw Jaw pour faire connaître leur musique. Donc j’ai eu envie de les aider dans la mesure de mes possibilités. C’est pourquoi j’ai commencé à organiser des concerts et des tournées avec l’aide des réseaux underground. Cette activité a jeté les bases pour créer Elektrohasch, ce que j’ai fait en 2003 lorsque je me suis retrouvé au chômage. Pour faire simple, Elektrohasch est un label consacré à la musique à guitares, heavy et psychédélique. Aujourd’hui, le catalogue va de la noise core de Ugh! et du space doom de Phased, pour le côté le plus dur, aux ambiances early-Floydiennes de Saturnia pour le côté le plus tendre. Les groupes que je signe se situent dans cette fourchette et doivent absolument me faire craquer. Ils doivent aussi adhérer aux mécanismes et aux nécessités du réseau underground avec lequel je travaille et sur lequel je me repose. A part Colour Haze, nos groupes “principaux” sont Hypnos 69, pour moi le meilleur groupe de rock progressif façon 70s de ces dernières années, et les rois berlinois du groove rock instrumental Rotor. Je collabore très étroitement avec Mat Bethancourt (Josiah, The Kings Of Frog Island, The Beginning), qui est totalement en phase avec ma philosophie et apporte une grosse contribution. Hainloose et My Sleepling Karma sont aussi très importants pour la scène allemande, sans oublier Gas Giant, Los Natas, Nixon Now et Sula Bassana

Pour terminer, nomme donc quelques groupes et albums qui ont les honneurs de ta platine en ce moment.

MoondogThe Viking of Sixth Avenue

Hypnos 69The Eclectic Measure

Shuggie OtisInspiration Information

Sgt. Sunshines/t

Et puis pas mal de Brahms, Mozart, Vivaldi

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