L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

Pas de commentaires      559

Pour qui n’a pas le goût du contemplatif, "L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford" sera de ces instants aussi inconfortables que ceux jonchant nos misérables vies. Je vous ferai l’économie de les citer, ce film n’en sera jamais aussi ennuyeux aux yeux de ses détracteurs. Dont je ne fais pas partie. Western de notre ère moderne, il n’a rien à envier aux pontes du genre et surtout pas à ces poncifs poussiéreux, ces tueries à même de justifier le mythe d’une nation… Et de mythe il est bel et bien question ici. Comment il se crée, comment il vit, comment il meurt lorsqu’il devient trop envahissant ? Autant de questions sacralisées par la légende Jesse James et ici portées par un Brad Pitt à l’interprétation sobre mais toujours aussi charismatique et les images de Andrew Dominik, belles à en crever.  Pour comprendre la portée d’un tel film, un retour sur l’histoire – et non le conte – du bandit Jesse James s’impose. Fils de pasteur devenu rebelle après la Guerre de Sécession, il vit la vengeance au cœur des barillets et dans le souvenir des coups de fouet Yankees marquant alors la cuisante défaite de son pays. Hors la loi, il compte à 34 ans nombre de pillages de banques, diligences et autres trains ainsi que 17 meurtres faisant de lui l’un des criminels les plus recherchés par les polices de 10 états. Malgré ce statu, la presse et les romans de 4 sous feront de lui un héros, une sorte de Robin des Bois du Far West donnant ainsi le change à une époque banale, vivant dans l’amertume d’une défaite face à l’Union Jack. « Le derniers des grands aventuriers mesdames et messieurs ce soir en exclusivité dans notre Grand Cirque ! » Ca ne vous rappelle rien ?…  Bref tout est question de représentation ici – qui a dit d’hypocrisie ?- ainsi qu’au sein de l’histoire avec un grand H. Mais cette allégorie est bien mise à mal dans ce film. Jesse James n’est pas le héros que l’on voudrait ancrer au sein de l’inconscient collectif. Il porte le visage d’un homme maladif, instable et cynique, rusé mais traqué, devant autant subir une célébrité d’icône que sa vie d’ange déchu. Ses dernières heures mises en scène ici puent la lâcheté de son environnement, évidemment personnifiée par son bourreau Robert Ford, jeune bouseux farci du mythe Jesse James. A 19 ans se prendre de pleine face la réalité de ses fables de jeunesse, ça ne laisse personne indemne. Et la mort qu’il réserve à son héros n’en sera que plus pathétique. Quoiqu’il en soit devenir calife à la place du calife sera une erreur fatale dont doit encore rire aujourd’hui le père James dans sa tombe, le majeur bien tendu. Difficile d’échapper à l’histoire instituée par une société arc-boutée…  Mais au delà de cette parabole, il y a les images de Andrew Dominik. Magnifiques d’amplitude, aux couleurs exacerbées, à la lumière tout de clair-obscure, un monde se fixe à jamais. Elles vous subjuguent autant qu’elles fascinent. Les personnages se meuvent au cœur de cet univers un rien fantomatique avec élégance et justesse. La lenteur est reine, donne toute sa dimension aux grands espaces qui s’ouvrent à nous, à ces plaines où se perdent ces hommes. La mélancolie s’inscrit dans cette toile en même temps que se diluent les thèmes récurrents du western : la vengeance semble ici totalement abâtardit. L’absurdité offrirait-elle des lettres de noblesse ?… Porté par ces tableaux, par l’interprétation du jeune Casey Affleck et de Brad Pitt, par la musique teintée de spleen de Warren Ellis et de Nick Cave (faisant d’ailleurs une brève apparition, la guitare à la main), rythmé par une voix off, ce film est une œuvre à contempler bien plus qu’à regarder. Une œuvre qui s’affirme à contre courant des standards calibrés du western tout en se jouant de ces thèmes, une œuvre d’une modernité insolente devant autant à John Ford qu’à Terence Malick en somme.

2007. De Andrew Dominik. Film américain avec Brad Pitt, Casey Affleck, Sam Shepard, Sam Rockwell. (2 h 39)

Up Next

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *