Les films Kults d’Eklektik – Ran

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Annee de sortie: 1985

Ran
1985, Akira Kurosawa

1578, Japon. Le seigneur Hidetora Ichimonji s’apprête à se retirer. Il décide de diviser son domaine en trois parties, une pour chacun de ses fils. La famille commence à cet instant à imploser.

Dans cette plaine, terriblement calme et lumineuse, un léger vent soufflant, le visage sans âge du seigneur, sage, impassible, lègue son royaume. Ses longues minutes introductrices témoignent de l’ambition de Kurosawa : réaliser un film ultime, finir sa carrière en rendant hommage aux arts, le théâtre, la peinture, peut-être même l’opéra. Largement inspiré du Roi Lear de Shakespeare, Ran s’assimile à une lente succession de toiles, tour à tour lumineuses, menaçantes, sanglantes, crépusculaires. Kurosawa s’intéresse à la lente agonie d’une famille, à la démence, à l’étroit lien entre le bon et le mauvais, le vivant et le mort, le lumineux et le sombre, à la coexistence de tons contraires, en parfaite osmose. « Ran » signifie « chaos », « désordre ». Ran est l’histoire d’un chaos absolue, d’une folie meurtrière, d’une montée en puissance, inéluctable, de l’horreur, de la culpabilité d’un homme, du pardon, de rancoeurs, de peurs, de passions. Rien n’ici n’est précipité. A la façon d’un opéra, le film détaille chaque scène, la chante ou la peint plus qu’il ne semble la filmer. Jamais quinze hommes immobiles au centre d’une plaine vide n’ont semblé si captivant ; jamais l’horreur de cadavres jonchés de flèches, dans une lumière noir et rouge sang, n’a semblé aussi magnifique. Ran est un film de gestes, de visages, de contemplation. La culpabilité du seigneur ne peut être dite : l’errance a priori anarchique d’un homme, le visage fou, au milieu du vide, traduit en quelques minutes la complexité de ses sentiments : désespoir, haine, déception, culpabilité. La sagesse, ici, est la folie. Sans folie, impossible de comprendre ce qui fait vivre ce monde, et son caractère insensé.
La lecture de ces mots renvoie probablement l’image d’un film abstrait et insaisissable. Il est on ne peut plus concret. Par  la simple utilisation d’une sobre palette de couleurs, Kurosawa rend la lecture de son film extrêmement fluide. Les sentiments ont leur couleur, de la même manière que chacun des trois fils possède la sienne.
En 1980, Kurosawa avait abordé la même thématique avec Kagemusha, pour lequel il reçut une palme d’or. Ran le conclut, profondément pessimiste, glauque, où le pouvoir, l’amour, la jalousie, la soumission, l’adoration, la fidélité, l’infidélité, la culpabilité, l’honnêteté connaissent invariablement le même dénouement.
Et au spectateur d’assister au chaos aussi terrorisé que subjugué…

Par sa dimension picturale, Ran fige le mouvement et le magnifie. Dans le plan large d’un royaume brûlant sur les pentes d’une montagne, dans celui suivant une centaine de cavaliers au galop, dans celui muant une armée d’hommes en armée de morts, dans celui observant une servante dans les pièces du château, dans celui zoomant sur le visage d’un vieillard, Kurosawa semble peindre sa pellicule.
Pour le grandiose visuel du film, pour le réalisme de ses peintures, Kurosawa utilise 1500 figurants, autant d’armures, fait détruire un château spécialement construit sur les pentes du Mont Fuji. Il fallait au moins ça pour faire d’un film une oeuvre d’art.

par Pearly

Equipe Eklektik

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Commentaire

  1. guim says:

    Samurai shodown ! Gros perfect pour moi aussi.

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