Blut aus Nord – Trilogie 777

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Style: Black Metal Avant-gardisteAnnee de sortie: 2011-2012Label: Debemur Morti

Depuis désormais quelques années, Vindsval est devenu un véritable stakhanoviste des sorties de disques. Surtout il propose à chaque fois un travail de qualité et n’hésite pas à s’atteler à  une œuvre ambitieuse comme peut l’être une trilogie cohérente, réfléchie, aboutie. Prise de risque permanente alors que l’estampille BaN seule suffirait à vendre des disques sans trop de soucis ni de travail. Mais ce n’est manifestement pas le genre de la maison que de se reposer sur ses lauriers et ces 3 disques prouvent, s’il en était encore besoin, que Vindsval transcende les lois du black metal pour se les approprier en faisant sa petite tambouille avec de l’ambient, du trip-hop voire même de la pop (hé oui). Pour un résultat éminemment personnel.

Sect(s) – La prostration

L’album qui ouvre la trilogie reprend peu ou prou les dissonnances issues de la période couvrant The Mystical Beast of Rebellion jusqu’au fabuleux MorT, mais utilisées dans un autre but puisqu’alors c’était un étouffement permanent alors qu’ici des mélodies accrocheuses voire lumineuses (Epitôme 2) donnent ce trait d’air frais qui est si utile pour approfondir la noirceur par contraste. De la lumière viennent les ténèbres, paraît-il, et c’est véritablement l’impression que donne Sect(s). Ce disque est violent, noir, visqueux, parfois nerveux, souvent étouffant. Une sorte de gangue dont il est quasi impossible de s’extirper. Aussi apparaissent ici et là quelques lignes musicales comme des appels à l’aide (la guitare « mélodique » désespérée de l' »Epitôme 4″ couplée à la voix perdue au fond, véritables suppliques agonisantes) vite réduits à néant par l’implacable machine à riff qui revient enfoncer encore un peu plus la tête dans la boue (« Epitôme 5″, le plus noir et violent de l’album et de la trilogie). Pourtant l’album se clôture sur une note de vie, avec l' »Epitôme 6″ qui redonne une sorte de combativité en reprenant un thème proche de celui de l' »Epitôme 2 », fier, affirmé. Un appel à la rébellion contre un état de fait. L’anéantissement n’a pas complètement eu lieu, reste à se battre pour remonter aspirer une goulée d’air moins vicié.

 

The Desanctification – Le combat

Le deuxième volet de la trilogie s’ouvre par une ambiance proche de celle qui concluait Sect(s), un leitmotiv entêtant, une voix plus posée, un aspect presque chamanique se dessine doucement et les accords pleins se posent comme l’affirmation de l’envie de se révolter. Une sorte de première naissance qui va s’avérer difficile, en témoigne l' »Epitôme 8″ qui est une ode au combat intérieur, véritable grand huit qui replonge le protagoniste dans les affres du 1er volet, mais désormais la lutte semble possible, portée par une voix impérieuse, comme un maître s’adressant à son disciple pour le relever mentalement. Le très court « Epitôme 9″, au calme absolu mais toutefois toujours aquatique / nébuleux, indique la remise à flot puis pour la première fois de la trilogie, une voix claire et apaisée arrive, certes encore troublée par la voix criarde, mais elle existe désormais. Le rythme beaucoup plus lent que le premier chapitre de la trilogie permet de poser des ambiances plus affirmées, des répétitions qui confèrent une impression de va et vient constant entre la gangue et la lumière (automnale, pas estivale). Un combat sur soi caractérisé par la quasi absence de voix, et traversé par des périodes de troubles (voix implorante sur l' »Epitôme 11″) alternant avec des périodes de sérénité (les cloches tibétaines de l' »Epitôme 12 », qui reprend par ailleurs un thème déjà entendu sur le 1er volet mais plus trip-hopisé, couplées aux voix claires et plus affirmées que lors de leur première apparition). Le dernier soubresaut de la gangue tente une dernière fois de s’imposer à la fin du chapitre (« Epitôme 13 »), mais il est désormais trop tard, la lumière a été trouvée, témoignée par la prédominance dans le mix de la voix claire qui désormais écrase la voix criarde. La lumière est venue de toi.

 

Cosmosophy – La tranquille affirmation de soi

L’album le plus lumineux de Blut Aus Nord et par là-même le plus étonnant. Lumière estompée d’automne, mais lumière quand même. Sur ce volet, Vindsval flirte avec la pop voire le post rock plus d’une fois (« Epitôme » 17 avec le delay sur la guitare). Le morceau liminaire s’ouvre par une guitare tranquille, un riff sûr de lui, posé mais très affirmé. Exit les voies criardes, place aux voix claires, très emperoriennes dans l’esprit. S’ensuit un étonnant spoken word (« Epitôme 15″) mixant trip-hop et ambient, voix parlée française assez atonale qui revient brusquement en morceau metal, avec des voix claires vraiment imposantes et affirmées, une mélodie limpide. Dernier sursaut du côté obscur de la force sur la trilogie. On regarde désormais devant et non plus derrière. Dans le même ordre d’idée, il n’apparait quasiment plus de dissonances musicales, tout est plus net, plus clair. Mais il subsiste toutefois un voile cotonneux sur l’ensemble. Car il ne peut pas y avoir de  lumière crue chez BaN. Ce troisième volet joue plus sur la nuance et la dynamique d’ensemble avec des passages vraiment très « faibles » puis d’autres plus puissants. Une autre sorte de dualité, en fait. La trilogie s’achève sur l' »Epitôme 18″, morceau-fleuve de 11 minutes qui reprend une version de la mélodie déjà utilisée 2 fois ailleurs : le souci de lier l’oeuvre, la rendre logique par la réutilisation de ses propres matériaux. Il est frappant de noter que le silence peu à peu gagne en intensité et en présence au long de ce dernier morceau, qui du coup me remémore la construction du dernier volet de la première trilogie d’Elend, l’exceptionnel The Umbersun, qui était d’une violence sans égale au début pour laisser au fil du disque le silence devenir prégnant, pour finir complètement présent. La fin de Cosmosophy (et donc de la trilogie) participe du même effet. Le silence comme quiétude finale ?

 

On pourrait parler de cheminement du Yin vers le Yang, de l’ombre vers la lumière, de la mort vers la vie, bref toutes les dualités possibles et existantes dans les théogonies diverses. N’étant pas du tout porté vers la chose ésotérique, je préfère parler de combat mental gagné sur soi. Un chemin d’aboutissement très bien éclairé par la musique, très explicite, froide et dure ou plus intense, grandiose, posée, entêtante…  suivant la nécessité du scénario. Et au-dessus, comme un guide, la voix est véritablement la lumière à suivre pour comprendre le processus de développement qui s’accomplit à travers ces 3 disques. Un fil d’ariane qui explique et pointe les étapes douloureuses puis de plus en plus apaisées que doit franchir le protagoniste (l’auditeur ?), qui confère une cohérence assez impressionante à la trilogie, cohérence renforcée par la reprise de thèmes deci-delà et surtout par le fait que les derniers chapitres de chaque disque sont des parfaits lancements pour ceux qui vont suivre, avec une ambiance qui introduit le volet suivant. Un très gros travail. Nous sommes ici en présence d’une trilogie très bien construite avec des rappels constants à travers ces disques, mais aussi à travers l’oeuvre globale de Blut Aus Nord. Des passerelles qui donnent une profondeur et surtout une réelle unité au travail de Vindsval. Comme je le disais en introduction : cohérente, réfléchie, aboutie.

Avec ces multiples ingrédients qu’il a lui-même mis à sa disposition et son évidente ouverture d’esprit, Vindsval s’ouvre un champ des possibles extrèmement vaste pour son travail à venir. Et vu la prolixité du bonhomme, on va vite savoir ce qui nous attend. Le meilleur, certainement.

PS : Parce que cette trilogie couvre énormément des aspects de toute l’oeuvre de Blut Aus Nord, les personnes ne connaissant pas le groupe peuvent trouver ici une bien belle porte d’entrée pour découvrir l’univers unique, dérangeant de cet artiste hors-normes.

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5 Commentaires

  1. ikea says:

    Bravo pour ce texte. Je ne suis pas forcement d’accord avec tout mais tu montres pour moi l’essentiel : un cheminement et une cohérence qui au-delà des qualités/défauts de chaque volet, rendent cette trilogie indispensable.

  2. xerocitizen says:

    J’ai commencé à m’intéresser à Blut aus Nord à la sortie du premier volume de cette trilogie : je ne pense pas que ces trois disques ont été pensés comme une introduction … mais j’arrive à suivre la ligne zig-zagant depuis leur Ultima Thulée … en ayant commencé par la fin!
    Sens dessus-dessous.

    Je suis bien d’accord avec l’auteur de l’article sur les rappels de thèmes, les fils qui se recroisent, s’étant échappés depuis parfois longtemps, et qui se ramènent, autrement, presque pareils, un poil changés. Le travail sur le dualisme m’a également bien accroché … celui qui m’a le plus frappé est le « bruit »/ »silence » dans le dernier volume …

  3. jonben jonben says:

    Je me surprend à y revenir régulièrement pour l’ambiance, mais difficile pour moi de ne pas y voir au delà des interprétations ésotériques une part grotesque de fête paillarde occultiste à la « Eyes Wide Shut ».

  4. Angrom angrom says:

    J’avais tenté les deux premiers de la trilogie sans vraiment y accrocher. Dois-je tenter le troisième ou c’est mort pour moi ?

  5. Nocturnalpriest says:

    @Jonben: décidemment t’as décidé de m’agacer ces temps haha ! La « grotesque fête paillarde occultiste », aka Jocelyn Pook et son album « Flood », c’est très bon et ça ne pète pas plus haut que son cul. Les incantations roumaines passées à l’envers, je trouve ça bien hypnotisant ^^

    Sinon que de branlette sur BAN…ah la France, terre de modestie et d’objectivité sans limites. Paris, tu es mon astre et je suis ton flambeau MDR (http://www.dailymotion.com/video/xppcc_les-gros-cons-le-comedien_fun#.UL9N7hz5OME)

    @Angrom: je pense que ça vaut le coup de tenter la 3ème partie, moi j’aime beaucoup (et pas trop accroché à la première bien que je retenterai le coup en m’investissant d’avantage, y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis) :-) J’avoue avoir été écoeuré à l’époque par la suffisance des propos lus dans une interview de Vindsval qui ne se prend pas pour la queue de la poire…

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