Gorguts – Colored Sands

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Style: post-death, avant-gardeAnnee de sortie: 2013Label: Season of Mist

Il y a douze ans, le groupe québécois Gorguts sortait son quatrième album « From Wisdom to Hate« , un truc obscur et fouillé comme pas deux, à la croisée des chemins entre la sombreur du death-metal et les dissonances de ce qu’on n’appelait alors pas encore le post-black. Inspiré et équilibré, l’opus allait de la barbarie savamment construite à des ambiances plus éthérées mais toujours ténébreuses, et suivait le grand « Obscura« , celui qui avait définitivement fait entrer Gorguts dans la cour privée de l’avant-garde, et qui était devenu pour beaucoup d’amateurs de metal avant-garde (dont je suis) un instant classic.

Autant dire que ce sont douze années d’une longue, très longue attente qui prennent fin ce 30 août avec la sortie de « Colored Sands« , pour lequel Luc Lemay, unique membre permanent de la formation s’est entouré de John Longstreth, batteur d’Origin, et de Colin Marston et Kevin Hufnagel, bassiste et guitariste dans Dysrhythmia. Est-ce que ce nouveau line-up allait apporter plus d’influences différentes à Gorguts ? Difficile à dire, vu que « l’ancien Gorguts » avait déjà digéré énormément de styles musicaux et d’inspirations. Est-ce que, avec ces nouveaux membres et après ce très long break, le groupe allait évoluer dans une bonne direction ?

Oui. Définitivement.

Pour tout dire, beaucoup d’albums de death, de black, de post-black ET d’avant-garde font pâle figure à côté de « Colored Sands« . Le groupe nouvellement ressuscité, légitimement fier de ce qu’il a été avant son split de 2002/2004, ne cache pas non plus ses influences majoritaires, et quand Luc Lemay avoue être un grand fan de Dodecahedron et Ulcerate, nous aurions du mal à en être surpris. Cependant, Gorguts ne saurait se contenter de flatter l’orgueil de ses aimés : ce qu’il crée outrepasse la simple somme de ses influences et de son passé.

Parce qu’il suit sa voie sans s’imposer aucune limite ni frontière, mais sans jamais se perdre dans un bordel d’envies non-contrôlées, « Colored Sands » est un chef-d’oeuvre. L’équilibre entre violence et lourdeur plus mid-tempo, qui y est démontrée avec brio dès le premier titre « Le Toit Du Monde« , fait sans doute de cet album le précurseur d’une sorte de post-death dont on attendait la naissance depuis longtemps. Les ambiances y sont magistralement mises en place (la superbe intro, glauque et planante, de la chanson-titre) ; la composition ne laisse aucune place à la maladresse (« Enemies of Compassion« , une déflagration à la polyrythmie simple mais hénaurme), et est clairement enrichie par le nouveau line-up, avec des parties de batterie d’une efficacité et d’une lourdeur étonnantes, et des structures et des riffss qui constituent une superbe contribution de Kevin Hufnagel, sur le titre « Absconders » notamment. Quant à l’audace frappante de certains passages (la monstrueuse fin de « Forgotten Arrows » ; l’instrumentale « The Battle of Chamdo » qui sert de pont entre les deux parties de l’album), elle ne nuit aucunement à une cohérence d’ensemble qui laisse entendre cet opus comme le concept-album qu’il est.

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Car oui, « Colored Sands » est un concept-album organisé en deux parties. La première s’intéresse aux rituels tibétains, notamment le tracé des yantras ou mandalas, et la longue veillée du corps du 13e Dalaï-Lama. La seconde raconte par bribes l’histoire de persécution vécue par le Tibet : l’invasion chinoise de 1950, l’immolation de moines bouddhistes en signe de protestation pacifique, la tentative d’évasion de Tibétains vers le Népal écourtée par les gardes frontières chinois et le témoignage vidéo qui nous en est parvenu en 2006.

Techniquement extraordinaire, flattant l’oreille avertie comme peu d’oeuvres avant lui, « Colored Sands » est également marquant par les sujets qu’il aborde, et se montre aussi dur et frappant que ses thématiques ne l’exigent. Il accumule plus de savoir-faire et d’inspiration que l’immense majorité des disques de metal sortis dans l’année (ou même avant), et malgré les minuscules défauts que l’on pourrait lui trouver après quelques dizaines d’écoutes (ce son de basse n’est-il pas un peu trop clinquant, particulièrement sur « Le Toit Du Monde » ? le début de « Ember’s Voice » ne sonne-t-il pas légèrement creux, surtout placé juste après la grandiose « Enemies of Compassion » ?), il laissera clairement une empreinte indélébile.

…je n’irai pas jusqu’à dire, comme d’autres avant moi, qu’il a « tué le death-metal » en ne laissant plus aucune porte ouverte derrière lui ; au contraire, le prochain groupe qui trouvera une nouvelle porte à franchir va nous décoller une soufflante d’intensité au moins égale à celle de ce monstrueux « Colored Sands« , et j’en bave déjà.

Chroniqueur

Mathias

Chroniqueur des heures perdues, amant déraisonné de la zeuhl et de toutes ses expressions musicales, auditeur assidu de metal, d'industriel, de mathrock, et j'en oublie.

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Commentaire

  1. Arnaud says:

    Le morceau en écoute met bien en évidence l’apport de Kevin Hufnagel et Colin Marston, la ressemblance avec Dyshrythmia sur certains passages est évidente. Super !!!
    Vivement que j’écoute le reste.

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