Le passé

« Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire. »
Cette citation d’André Gide illustre parfaitement les limites auxquelles se heurtent les personnages du Passé, dernier film en date d’Asghar Farhadi. Dans ce récit d’une recomposition familiale éphémère produite par le retour à Paris d’un homme qui doit divorcer de son épouse, les caractères sont constamment confrontés à leurs actes et à leurs souvenirs antérieurs qui fragilisent l’avenir pour meurtrir leur présent. Ex-mari, ex-femme, nouveau fiancé, épouse plongée dans le coma, enfants des uns et des autres : les interactions multiples [...]

Amour

On ne va pas voir un film de Michael Haneke pour passer un bon moment. Du Septième continent à Amour, en passant par La pianiste : l’œuvre du réalisateur autrichien est radicale, dérangeante. À l’opposé de l’esthétisation flamboyante d’un Tarantino, Haneke aborde la violence physique et psychologique de façon austère et clinique. En ne montrant généralement pas l’horreur, ses épures assumées laissent le spectateur face à son imaginaire, à la fois libre, mais également contraint de ressentir la violence telle qu’elle est : insoutenable et extrême.
Amour ne déroge pas à la règle. Le film est dur, cruel. Mais [...]

Le libre arbitre

La mise en scène d’une longue scène de viol peut aussi bien s’apparenter à une inutile provocation qu’à une glaçante entrée en matière annonçant la difficile confrontation du spectateur avec la suite du film. À l’opposé de l’esthétisation souvent voyeuriste d’Irréversible, Le libre arbitre adopte une cinématographie naturaliste et distanciée qui le place dans la deuxième catégorie. La vision d’horreur introduisant le film constitue le socle sur lequel reposera ensuite l’analyse détaillée de ces deux âmes et corps malades, de ces deux personnages principaux rongés par leurs peurs, leur passé et leur infinie solitude. Leur tentative de rédemption engendrera [...]

L’insoutenable légèreté de l’être

Il est difficile de résumer une œuvre de Kundera. La réduire à un simple récit serait oublier sa portée philosophique, n’y voir qu’une fresque historique éclipserait la peinture de la psychologie des personnages. On mesure à partir de ces éléments la difficulté d’en tirer une adaptation cinématographique. Devant l’impossibilité de retranscrire l’intégralité du propos, découper une telle œuvre au scalpel pour en retirer l’essentiel s’avère donc nécessaire et inévitable. Si, comme son support littéraire, il aborde certes également la mort, la séduction et érige en toile de fond l’invasion russe en Tchécoslovaquie, le film de Philip Kaufmann prélève heureusement [...]

Restless

Sous ses allures de mélodrame classique, Restless est sans doute le film le moins ambitieux de Gus Van Sant. Pourtant, cette simplicité apparente n’enlève rien à la beauté et à la profondeur de cette œuvre qui n’en devient que plus subtile. Surtout au vu du scénario casse-gueule : une histoire d’amour forcément éphémère entre une fille se sachant condamnée par un cancer et un garçon n’ayant pas surmonté le deuil de ses parents.

Joy Division – Closer

Lorsque la mort s’impose comme seule issue, le désespoir cède le pas à la résignation. La lutte rageuse contre la souffrance et les tourments s’achève rapidement, l’espoir disparaît pour consacrer la victoire progressive de la Grande Faucheuse. À l’image de son austère pochette représentant un monument funéraire, Closer est un monolithe funèbre et glacial, une incantation mortuaire, l’acceptation de la défaite du vivant, un accueil fataliste de l’au-delà qui dessine les prémices d’un suicide.

À rebours

Au début fût le style. Celui du seul et unique personnage principal tout d’abord, Des Esseintes, qui afin d’échapper à une société trop grossière pour lui, se cloître dans la solitude d’une demeure fantasmagorique où il expérimente son « art de vivre ». Style littéraire aussi et surtout, d’une richesse linguistique inouïe, travail d’orfèvre halluciné qui porte l’œuvre de bout en bout à travers cette écriture nerveuse et jubilatoire.
On se heurte ainsi à des descriptions d’une méticulosité vertigineuse lors des soliloques de Des Esseintes: peinture, art floral, musique, littérature, les œuvres d’art sont décortiquées, analysées, encensées parfois. Et rarement critiques [...]

The Master

Se perdre dans l’espace-temps ou s’enfoncer dans l’ennui, se laisser bercer par la mise en scène ou bien regretter l’immobilité du récit : c’est le propre des œuvres immersives que de diviser, d’autant plus que la plongée ou non dans l’univers créé dépend en grande partie de notre humeur, de notre état d’esprit, du simple moment présent. Contemplatif et insaisissable, The Master divisera, éclairant certains spectateurs de sa lueur trouble, en laissant d’autres dans les pénombres de leur lassitude.
Que sa beauté nous envahisse ou nous échappe, on ne peut nier la prise de risque de Paul [...]

4 Horsemen Of The Apocalypse ‎– Drowning In Her / We Are The Future

1992-1993 : après quelques années d’hédonisme effréné à grands coups de cachets d’ecstasy, le mouvement rave anglais découvre l’envers du décor. L’État anglais s’attaque aux raveurs, les Spiral Tribes s’exilent, l’éphémère rêve de communion par la MDMA s’effondre, emporté par ses excès et ses effets secondaires. La musique électronique anglaise entre dans une ère plus sombre.
Dès les premières secondes de Drowning in Her, le malaise est palpable. L’intro aux relents de film d’épouvante précède l’entrée de la rythmique apocalyptique et compulsive. Les arrêts de cette cadence sont autant de tentatives désespérées pour s’extirper du chaos, mais celles-ci meurent [...]

Django Unchained

Le nouveau Tarantino sera-t-il à la hauteur ? S’agit-il de son meilleur film ? De son œuvre de maturité ? Film après film, les questions restent les mêmes, tandis que le cinéphile boulimique américain élargit sa filmographie. Les fans du réalisateur sont rarement déçus. Et pour cause : burlesque, extravagante, violente et empreinte de références, la patte du cinéaste reste reconnaissable entre mille. Les aficionados y voient la création d’un véritable style, d’autres un condensé talentueux d’ingurgitations cinématographiques, les plus sceptiques critiquent celui qu’ils voient comme un usurpateur se contentant de pomper et de repomper les œuvres de ses [...]