Colin Stetson – New History Warfare Vol.2 : Judges

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Style: Jazz Annee de sortie: 2011Label: Constellation

Le souffle amusé, la respiration agissant comme un langage du corps, le diaphragme gonflé à bloc, Colin Stetson ne manque jamais d’air et se joue du rythme comme d’un fil d’Ariane vertueux. Au diapason d’une recherche aventureuse de la musique qu’il produit, le bol d’air, Stetson le procure à travers sa recherche de motifs à épingler à ses toiles sonores. Muni de ses saxophones, de quelques micros, il habite l’espace d’un instant un album qui laisse bruire sa vision à travers des dispositifs parfois incertains, aux allures bancales mais toujours en équilibre, une plongée dans un organisme vivant. Un saut dans l’entre-deux.
L’américain avait déjà joué avec les frontières sur le premier volume paru en 2009, il nous revient, moins ampoulé mais toujours aussi singulier. La révélation se fait cycliquement sur des drones rougis au feu de ses cuivres puissants, de ces basses qui transpercent les enceintes sans ajout de matière grasse. Tout y passe, le chaman souffle et la matière réagit. Les textures se disloquent, se décantent et s’affermissent, sous le diktat de la respiration circulaire du résident de Montréal qu’on entend reprendre appui à chaque poussée de fièvre pourpre. La mécanique est visible,  inspiration et expiration sont des points de focale de la matière musicale, des révélateurs de l’avancée de l’escalade qui se métamorphose et se réinvente de plages en plages.

 


Les dissonances agissent comme des marqueurs contextuels, les sonorités s’expérimentent au détour de grooves cachés sous le sable des dunes, un minimalisme qui a tout du trip minéral tant les apparences ne trahissent pas l’image du paysage, mieux, elles le renforcent dans leur acceptation d’une vérité du son que l’on se fait quand on parcourt des oreilles le disque. Toujours en mouvement, organiques, les phrases que Stetson imprime derrière son saxophone jouent avec une bizarrerie jubilatoire les codes détournés du jazz ou du blues.

On l’entend papillonner parfois sa linguistique derrière les spoken words de Sarah Worden, on se rappelle un peu le Colors de Ken Nordine sans sa connotation industrielle de disque de commande quand l’album joue avec le lexique des pigments de sa révélation acoustique. Sur « Home » on se prend une décharge de blues nouvelle école, minimaliste et racé, comme une resucée géniale du « Circe » de Sun Ra époque  Fate in a Pleasant Mood, un coup de blues renforcé quand sur un tapis de laine chaude d’un drone tellurique, Sarah se fend d’un « Lord I Just Can’t Keep From Crying Sometimes » habité. Stetson joue ses gammes, nous raconte presque l’Afrique sur « Judges » et son rythme chaloupé pour d’un seul coup se jeter dans un nouveau confluent, en déconstruisant l’origine il pointe une nouvelle destination. Et on repart.

C’est ce qu’il y a de passionnant avec ce disque, il est là, vous raconte sa matière sans détour et jamais ne s’abrite sous le préau si la pluie tombe, il a cette fierté jusqu’au boutiste et ce mérite de ne pas tomber dans les travers de l’exercice, il n’est pas le vecteur d’un genre, plus une idée de la musique qu’il a envie de souffler, un acteur de sa propre pièce. Un disque que l’on entend vivre et que l’on vit quand on l’entend.

 

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Commentaire

  1. Waz' says:

    Bonne chronique, mais attention cependant, le spoken-word sur le disque n’est pas du tout de Sarah Worden mais bien de Laurie Anderson (maîtresse du style) !

    Au plaisir

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