This is Conceptcore – zoom sur Down I Go

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Style: conceptcoreAnnee de sortie: 2010Label: undergroove & shelsmusic

N’y allons pas par quatre chemins : Down I Go est à mes yeux l’un des groupes les plus originaux et sous-estimés que je connaisse. Initialement vu plus comme un hobby que comme une entreprise sérieuse,  Il n’en a pas moins réussi le tour de force de produire une discographie exceptionnelle, où se côtoient robots, dictateurs, créatures mythologiques et dinosaures. Au moment où la fin annoncée de leur aventure se concrétise avec la sortie de leur ultime EP intitulé Gods, il semble nécessaire de revenir au moins une fois sur ce groupe et leur rendre justice, puis de papoter un peu avec Pete, chanteur du groupe.

Alors, avant de poursuivre votre lecture, je n’ai que quelques conseils à formuler : Tentez de vous rappeler du dinosaure préféré de votre enfance et faites le combattre avec le méchant de Robocop ; Sortez vos livres d’histoire puis brûlez les avec rage…

Voici Down I Go.

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This is a Retrospective

This is Dinocore (2005)

Été 2008. L’une de mes habituelles et interminables phases de BMAO*. Au milieu de la énième décharge numérique illégale où s’empilent compilations rigolotes et artworks thrash, une pochette attire mon regard. Devant mes yeux, quelque chose d’étrange. Un dessin d’enfant représente sur une page quadrillée et avec plusieurs couleurs de feutre un étrange robot façon futurama, en moins bien fait bien sûr.

Le titre m’interpelle : « this is robotcore« . Merde alors. Je pensais pourtant avoir vu le suffixe core sur la quasi-totalité des mots du dictionnaire; mais là, j’avoue ne pas l’avoir vu venir. Il n’en faut pas plus pour éveiller ma curiosité. Je récupère de manière tout à fait délictuelle l’objet en question puis, après quelques minutes, grâce aux portes vitrées coulissantes et aux très bonnes enceintes du salon parental où je suis hébergé à ce moment là, je suis en mesure d’en faire profiter tout le voisinage… Bordel. Qu’est ce que c’est que ce truc ?!. Le son n’est pas phénoménal mais je sais déjà que je n’ai rien entendu de tel. J’ai réellement l’impression d’entendre des robots qui font du hardcore. Le phrasé mathématique du hurleur, la mécanique décrite par la guitare… cette composition semble développer un algorithme. Je regarde ma playlist. ‘T-1000′, ‘R5-D4’, ‘ED-209’, ‘Mecha-Godzilla’. Les cons… ils ont vraiment fait du putain d’harcore de putain de robots. 5 minutes plus tard, c’est déjà fini. Quoi ? La dernière fois que j’ai pris autant mon pied en aussi peu de temps, ça devait être pour mon dépucelage. Depuis ce jour, je vis une histoire d’amour presque honteuse avec ce groupe et leur hardcore chaotique, conceptuel et multi-thématique. Car les tarés n’en sont pas à leur premier essai. Tous les grands artistes ont un instant de pur génie, le déclic ultime qui leur permettra d’inscrire leur musique au patrimoine immémorial de la culture humaine et en faire ainsi profiter l’ensemble des générations futures. Pour Pete, le chanteur, c’est le jour où il a découvert qu’il pouvait imiter des cris de dinosaures à l’arrière d’un van, probablement saoul. Partis de ce principe fondateur, le groupe enregistra donc en 2005 This is Dinocore, premier livre saint de la bible du WTF sauce Down I Go. A quoi ça ressemble ? Et bien la rumeur d’une meute de vélociraptors à l’affût nous cueille dès notre arrivée. Très vite, une première attaque nous met au sol et, dès cet instant, on comprend que rien de ce qui va suivre ne sera sous contrôle. Un diplodocus au pas forcément pachydermique se traîne lourdement dans les parages, sans se douter qu’un tyrannosaure ainsi qu’un égocentrique (et anachronique) dimétrodon rodent non loin de là… la chasse peut commencer.

This is Disastercore (2006)

La puissance évocatrice des britanniques est exceptionnelle. Probablement un auditeur ignorant le concept ne fera t’il pas automatiquement le lien, mais qu’on le lui explique en quelques mots et plus jamais il ne pourra dissocier dans son esprit cette musique d’un Jurassic Park mental. Créatif et défouloir, ce premier essai est un pur OVNI. Le genre de disque qui même mis en fond sonore attire l’attention des convives qui, leur curiosité éveillée, arborent alors cette inflexion sourcilière si spécifique à l’incrédulité. Quand parviennent les dernières notes de l’épique et puissante extinction des dinosaures, on ne peut qu’en demander plus. Tant mieux, puisque l’année suivante (2006) sort this is disastercore, tout aussi fou mais plus travaillé que cette première météorite.  Finis les combats reptiliens à flanc de volcan, l’humanité a désormais son mot à dire. Enfin pas longtemps quand même, juste le temps de se faire décimer par moultes explosions, incendies, épidémies et autres joyeusetés qui forment le thème de ce second opus : les désastres (et oui je suis bilingue). Grande peste de Londres, explosion de Tchernobyl, incendie du Hindenburg, krach boursier de 1929, Titanic, tout y passe. Naturelles ou non, les catastrophes les plus diverses y sont décortiquées avec une subtilité nouvelle, relativisant l’évocation pour se concentrer sur la complexité du fond. Car musicalement, même si l’on cultive la même personnalité, le registre est nettement plus riche. Les morceaux s’allongent, permettant une ramification des structures et donc des tentatives plus audacieuses en matière de rythmes et d’ambiances.

This is RobotCore (2008)

 On se rapproche par moments d’un mathcore racé, plus efficace et peut être un peu moins barré, que l’on n’hésite pas à nuancer avec des interludes et des outros plus calmes. Ce sont aussi les premiers morceaux où apparaissent les jeux de décalages rythmiques entre voix et instruments, qui reviendront fréquemment dans le futur.  Cerise sur le gâteau, on retrouve parmi les désastres évoqués le sujet bien connu de l’extinction des dinosaures, faisant ainsi la jonction avec le précédent opus et allant jusqu’à reprendre l’intro de ce dernier avant de dérouler un développement complètement différent. This is disastercore marque aussi la première collaboration du groupe avec Adam Powell, virtuose de la caméra désormais incontournable outre-manche, qui réalisera le premier clip du groupe, A Wasp in the Jar (vidéo en fin d’article), et qui les a depuis à nouveau rejoints pour leur ultime EP.

Pause de deux ans puis retour avec This is Robotcore, délire mécanique bien huilé dont j’évoquais la percussion en début d’article…

Cette discographie sans faille ne suffira pourtant pas à nous préparer à la révélation qui allait suivre un peu plus tard la même année… Juin 2008. un album sobrement intitulé Tyrant arrive sous mes yeux et entre mes oreilles. La pochette représente un porc en costard en train de se goinfrer la carte du monde sur fond de charniers. Si l’on ne connaissait pas bien les protagonistes, on s’attendrait presque à un bon gros brulôt grindcore façon Napalm Death. Il n’en sera bien entendu rien et les premières mesures de l’album suffisent à nous le prouver. « Nobody expects the spanish inquisition! » disaient les membres du Monty Python. Et certes, on ne l’a pas vue venir. Tomás de Torquemada, grand inquisteur d’Espagne à la fin du XVe siècle, ouvre ce bal des tyrans où dansent dictateurs, rois et despotes en tous genres. Car s’il y a bien une chose dont l’histoire ne manque pas, c’est bien de salopards aux dimensions bibliques.

Tyrant (2008)

Le groupe va donc copieusement piocher dans ce répertoire pour étoffer le sien : d’Henri VIII à Georges W. Bush en passant par Staline, les bouchers se succèdent et ne se ressemblent pas.  Rythmique mathcore épurée mais survoltée, chœurs miniatures et cordes frottées; on est bien dans l’univers chaotique des dinocoreux. L’album, très étoffé, change aussi facilement d’ambiance que de siècle et démontre une capacité de composition que, même si l’avait effleurée, n’avait jamais autant impressionné. Les jeux rythmiques entre instruments (décalage puis réunion, voix en contre temps des guitares) sont de plus en plus présents, le panel instrumental s’élargit drastiquement, les breaks jazz, classique ou même pop ne craignent pas de s’immiscer dans des morceaux qui semblent tantôt caricaturer, tantôt dramatiser. Nous sommes là devant l’album présentant sans contexte la qualité d’écriture et d’exécution la plus aboutie de la discographie du groupe, qui frôle le chef d’oeuvre, et qui en aurait d’ailleurs probablement obtenu la note si j’avais fait partie de l’équipe eklektik à cette époque.

Suivirent trois années presque sans actualité, si l’on met de côté une compilation de démos et faces B sortie en 2010  (Witness the Shitness) uniquement sur internet (http://downigo.bandcamp.com/album/witness-the-shitness) et qui, si elle fera le bonheur des fans, n’intéressera que peu la grande majorité des auditeurs.

Et nous voilà finalement en 2011, avec la fin programmée de Down I Go. Disséminés sur la planète, fortement impliqués dans d’autres aventures musicales, les membres décident de mettre un terme à l’expérience avec la sortie d’un dernier EP, Gods sorti le 7 novembre dernier et qui aura dans les prochains jours sa propre chronique.

* boulimie musicale assistée par ordinateur

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This is an Interview

1 – Peux tu me parler un peu de vos « profils » musicaux ? Je veux parler des différents groupes/projets antérieurs à DIG et dans lesquels les membres du groupe ont joué ou jouent encore

Et bien, nous nous sommes rencontrés alors que Ben et moi jouions tous deux dans la section cuivre d’un groupe punk nommé Jesse James, dont Alan gérait le merch.  Ben avait aussi été dans un groupe à l’école où il avait commencé à apprendre à enregistrer de la musique. Quant à moi, j’étudiais encore mais, en tant que saxophoniste, j’avais plutôt un background jazz. Un peu plus tard, avant et pendant Down I Go, Alan a rejoint Johnny Truant en tant que bassiste, Ben a joué de la batterie pour des groups indé au Canada, et j’ai joué du saxophone pour quelques groupes, tout en gérant la odd jazz residency de Londres. Ben enregistre aussi d’autres groupes sous son label www.gotmics.com.

2 – Il semble que vous avez eu différentes « carrières » avant de démarrer ce groupe. Peux-tu expliquer comment et quand vous avez décidé de former Down I Go ?

Pendant les heures interminables passées à l’arrière du van de Jesse James, nous faisions des blagues à propos de l’idée de démarrer un groupe de ‘Dinocore’, où Ben et Alan feraient des morceaux courts et brutaux sur lesquels je ferais des bruits de dinosaures en inspirant et en hurlant. Pendant un break entre deux tournées, Ben m’a envoyé quelques extraits avec des idées de 30 secondes qu’Alan et lui avaient enregistrés. Du coup, je suis allé chez lui, et nous avons écrit un paquet de trucs à partir de chacun d’eux, à chaque fois à propos d’un dinosaure différent.

3 – DIG n’est défintivement pas un groupe au sens classique du terme, avec les tournées et tous les trucs que les groupes font généralement. Comment le considérez vous ? Plus comme un exutoire artistique pour le genre de musique que vous ne pouvez pas jouer avec vos autres projets ? Un hobby pour le fun ? Un concept band ? Tout ça à la fois ?

Peut être un peu de tout ça, mais nous avons toujours tâché de le traiter comme un hobby. C’est devenu de plus en plus difficile au cours des années, car nous avons réalisé que certaines personnes aimaient vraiment la musique et traitaient le groupe, non comme un hobby, mais comme un réel projet, attendant de nous que nous partions en tournée et nous engagions avec une maison de disque, comme le ferait n’importe quel groupe et donc, dans une certaine mesure, nous avons du prendre les choses un peu plus sérieusement afin de répondre aux attentes que les gens avaient pour le groupe.

4 – J’ai le sentiment que vos albums peuvent se classer en deux catégories : This is Dinocore & This is Robotcore seraient dans la catégories « fun »; avec des cris de dinosaures, et des robots qui tirent sur tout le monde… A côté, on trouverait la catégorie plus sérieuse, incluant This is disastercore & Tyrant;  Tous ces gens qui sont étouffés/torturés/noyés, les longs interludes sombres, les soupirs, etc. Gods semble être un peu entre les deux catégories. Vois tu les choses de la même façon ? Est-ce intentionnel ?

D’une certaine façon, oui, bien que je pense que la musique est simplement devenue plus diverse avec le temps, au travers des développements et expérimentations; nous avons réalisé après avoir fait this is dinocore que créer de la musique sur une seule bruyante et  hurlante dynamique nous ennuierait tous et ne nous mènerait nulle part. Il y a eu aussi le fait que nous avons réalisé qu’écrire des morceaux à propos de vraies personnes, mourant dans d’atroces circonstances ne pouvait être fait sur le ton de la moquerie; alors nous avons eu de nombreuses conversations à propos de ce que nous pouvions ou ne pouvions pas dire et le genre de sujet qui pouvaient être abordés; par exemple, avec this is disastercore, il y a eu une décision consciente de ne traiter aucun désastre intentionnel, et donc de faire des chansons à propos d’épidémies ou d’affreux accidents, plutôt que des guerres ou génocides. Evidemment, ce principe n’était plus applicable pour Tyrant. Nous avons donc été encore plus prudents quant aux choix des textes et des thèmes.

5 – Peux tu m’en  dire plus à propos du processus d’écriture ? Comment choisissiez vous le thème du prochain album ? Est-ce décidé avant l’écriture du premier riff ? Qui fait quoi en terme d’écriture ?

Ca commence presque toujours avec Ben et Alan composant sur guitare et batterie quelques idées isolées ou des morceaux complets, parfois avec moi, parfois sans. Puis, soit Alan, soit Ben, va rajouter une ligne de basse, ensuite nous ajoutons les voix, piano, claviers ou percussions. Puis, si nous avons le temps et les ressources, nous ajoutons quelques cuivres ou cordes, bien que ça implique d’enregistrer en dehors de la maison de Ben, sans parler du fait qu’il faut réaliser les arrangements et trouver des musiciens voulant jouer gratuitement , capables de sonner correctement (nous avons été extrêmement chanceux en ce qui concerne les instruments à cordes, avec des musiciens très talentueux et expérimentés qui nous ont offert leurs services) et de venir avec leur équipement pour une courte session. En ce qui concerne les thèmes, c’est quelque chose que nous discutions beaucoup ensemble, donc nous avions généralement une idée de ce que nous allions faire avant de commencer, bien que certaines des pistes musicales étaient recyclées de plans qui ne correspondaient pas aux autres albums, ou d’extraits enregistrés entre temps.

6 – Vous avez décidé que Gods serait le dernier album de Down I Go. Peux-tu m’en dire un peu plus sur les raisons de ce choix ? Est-ce simplement à cause de contraintes géographiques ? Ou peut-être voulez-vous vous concentrer sur d’autres projets ? Y’a t’il une chance que vous vous réunissiez un jour ? Je ne sais pas, peut être que mon article va devenir si populaire que vous allez vendre plus d’albums que Lady Gaga et que jouer dans DIG deviendra une activité extrêmement lucrative ! Qu’est ce qui se passerait dans cas ? Cela changerait il vos projets ?

Nos situations géographiques sont la raison principale derrière cette décision (Ben est actuellement à Chicago, Alan vit à Toronto et je suis à Londres), mais je pense que c’est vraiment quelque chose que nous avons essayé de faire depuis un moment. A cause de nos autres projets, boulots, et une volonté mutuelle de ne pas faire de ce groupe une activité à plein temps. Nous avons du refuser un tas d’offres généreuses de la part de personnes qui nous voyaient plus comme un « vrai » groupe que nous. Du coup, d’une certaine façon, nous avons eu le sentiment que nous avions fait tout ce que nous pouvions sous le nom de Down I Go. Nous avons enregistré quelques idées pour un nouveau projet, supposé être quasiment un « anti-Down I Go », beaucoup plus calme et subtil; c’était initialement prévu pour être une face B de cet EP, mais nous n’avons jamais trouvé le temps de le finir quand nous étions tous au même endroit. Il est difficile de dire si quoi que ce soit pourrait changer nos plans, mais j’en doute. Cela dit, je suis persuadé que nous enregistrerons à nouveau de la musique ensemble dans le futur. Je pense que nous nous voyons tous plus comme des musiciens et des amis que comme UN groupe.

7 – A t’on une quelconque chance de vous voir en live ?

Probablement pas, j’en suis désolé. Même si on nous proposait des dates et que nous étions tous au même endroit au même moment, nous n’avons jamais joué les nouveaux morceaux, et nous n’avons pas non plus joué les anciens depuis un paquet d’années. Ce serait un sacré challenge, et je crois qu’aucun d’entre nous n’en a vraiment envie.

8 – Quels sont vos projets pour l’avenir  ?

Ben continue d’enregistrer d’autres groupes, joue apparemment de la batterie pour des gens à Chicago et passe du temps là bas pour mixer des projets qu’il a produits ici (ndlr : à Londres). Alan semble s’être vraiment installé à Toronto, est barman/portier dans un club et enregistre des trucs avec des musiciens canadiens. Il a pour projet d’ouvrir une boucherie avec un de ses amis, ce qui est vraiment excitant.

Je joue du saxophone pour les mêmes gens depuis un moment, je bosse sur des enregistrements en freelance et je donne des cours à côté.

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Chroniqueur

drommk

Chroniqueur instable depuis 2009, je me passionne pour les fouilles du web, en quête de groupes originaux ou/et méconnus. J'ai un faible pour les mélanges de genres. La formule parfaite est pour moi un équilibre entre originalité, technicité et émotion.

drommk a écrit 31 articles sur Eklektik.

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3 Commentaires

  1. krakoukass krakoukass says:

    Excellent article Drommk! J’écoute Gods en ce moment même et c’est vrai que c’est très original. Je vais me repencher sur Tyrant qui m’avait bien botté il y a quelques mois.

    • drommk says:

      Merci ! Ravi que ce groupe intéresse un peu les gens. Ne passez surtout pas à côté !

  2. drommk says:

    précision : Gods ne sera finalement pas l’ultime oeuvre de DIG, puisqu’un christmas song est prévu. Des vidéos de l’enregistrement de ce dernier sont dispos sur youtube

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