Aorlhac

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Prenant peu à peu leurs quartiers parmi les groupes les plus en vue de la nouvelle garde extrême française, Les trois Cantalous d’Aorlhac (prononcer “ Ao u ri a tte ” ) nous régalent d’une écriture impétueuse et créative, combinée avec une forte valeur ajoutée conceptuelle, puisqu’ils mettent à l’honneur dans leurs textes l’hé ritage culturel et historique du Pays d’Oc. Une démarche fraîche et totalement enthousiasmante qui réclamait dialogue. Profitant d’une escapade touristique au cœur de la Haute Auvergne, j’ai convié Ash (basse), NKS (guitares, batterie) et Spellbound (vocaux) à un petit happening à la belle étoile, sous les pierres immémoriales de la forteresse d’Alleuze. Compte rendu d’une entrevue aussi insolite que sympathique…

Est-ce que vous pouvez avant toute chose faire un petit point sur l’endroit où nous nous trouvons, à savoir le château d’Alleuze ? Qu’en est-il de l’ h istoire de ce lieu et pourquoi occupe-t-il une place prépondérante dans l’iconographie du groupe ?

Ash : Alleuze est un site qui nous tient à cœur, déjà parce qu’il s’agit d’un site assez exceptionnel, et ensuite parce qu’il est effectivement chargé d’histoire. Il faut savoir que pendant les Guerres de Cent ans, ce château a été envahi par les Routiers bretons, à la solde des Anglais, et dont le meneur s’appelait Garland. Ces bandes de Routiers avaient pour habitude de prendre des châteaux par la force, de les occuper, puis de les revendre avant d’aller envahir le château voisin… Il y avait alors seulement trois hommes à l’intérieur du château d’Alleuze pour le défendre, car l’évêque de Clermont, à qui appartenait l’édifice, avait refusé aux habitants de la ville voisine de Saint-Flour d’y faire stationner une garnison plus importante. A leur arrivée, Garland et ses hommes ont donc envahi le château très facilement, et y ont établi leur base à partir de laquelle ils ont ensuite lancé d’incessants raids sur Saint-Flour, qui ont été catastrophiques pour la région. Après le départ de Garland pour l’Italie, les Sanflorains, excédés, sont venus détruire le château, mais l’évêque a ordonné sa reconstruction par la suite. Aujourd’hui, comme tu le vois, il n’en reste que des ruines, mais l’on voit bien que c’est un lieu magnifique, mis en valeur par la retenue d’eau du barrage de Grandval qui l’entoure désormais. C’est donc pour toute son histoire que le groupe est très lié à ce château, une histoire qui reflète bien celle de l’Auvergne, particulièrement meurtrie pendant la Guerre de Cent ans. Alleuze illustre notamment la pochette de la démo, et nous continuons régulièrement à venir sur les lieux.

Quel regard portez-vous sur la fascination que peuvent exercer à nos yeux contemporains les ruines de châteaux, forteresses et autres antiques bâtisses de pierre ? Pensez-vous que d’ici quelques siècles nos descendants s’extasieront de la sorte devant la carcasse éventrée d’un gratte-ciel ou d’un centre commercial ? Pouvez-vous citer quelques-uns des sites que vous trouvez à titre personnel particulièrement saisissants voire émouvants – que ce soit en Auvergne ou ailleurs ?

Ash La vue d’une ruine nous porte au rêve, à l’imagination, même si la plupart du temps c’est faussé par des connaissances biaisées. Nous sommes justement dans une société où la standardisation des bâtisses modernes, qui a été débutée par des architectes comme Le Corbusier par exemple, nous écoeure. Aujourd’hui, l’industrialisation rejette tout aspect mystique dans nos sociétés. Mais je suis persuadé que dans quelques siècles les gens seront fascinés par nos ruines mais avec une vision différente. Imagine toi dans Mad Max ou Fallout avec des villes complètement ruinés. Mais bon, inutile d’aller si loin dans le temps et dans l’imaginaire. Remets toi dans le contexte de la fin de la seconde guerre mondiale avec des ruines comme Stalingrad. C’est tout aussi extraordinaire que des ruines de pierres. Seule la sensation est différente.
Quelques sites saisissant voire émouvants : Alleuze bien sûr. En Auvergne, le château de Coppel également. Il s’agit d’une tour avec une enceinte puissante, entouré d’arbres et très proche d’un ravin. Il fut partiellement rasé en 1626 sur demande de Richelieu. Mauzun avec une première enceinte qui disposait de 19 tours. Un fleuron du XIIIe siècle. En Aveyron, le château de Najac avec les plus grandes meurtrières d’Europe. Sept mètres je crois. Enfin, ce ne sont que quelques exemples.

Aorlhac désigne la ville actuelle d’Aurillac, en langage occitan j’imagine. Pouvez-vous nous situer cette ville, sa démographie et sa géographie . Quelles sont ses spécificités et ses grandes heures historiques ? En clair qu’est-ce qui justifie d’y attacher le nom de votre groupe de manière franche et pérenne ?

Spellbound : Effectivement le nom du groupe est en occitan, médiéval précisément…

Ash : Aurillac est la ville dont nous sommes originaires, et nous y sommes très attachés de par son histoire, qui est très complexe. Pour résumer, Aurillac est à la base la ville de Saint Géraud, qui est aujourd’hui le saint patron de la ville, et qui était à la fois un religieux et un guerrier. Géraud avait bâti un château, qui est aujourd’hui le château Saint-Etienne, et toute la ville s’est formée autour. Le commandement de la ville a ensuite été assumé par le clergé, jusqu’au XIIe siècle, plus précisément en 1190, où s’est produit un soulèvement des bourgeois de la ville contre l’abbé, après quoi Aurillac est passé aux mains des consuls et l’Eglise a ensuite progressivement perdu de son pouvoir. La ville a été assez ravagée pendant les guerres de religions, notamment par les protestants, qui ont détruit beaucoup de monuments, et sont même allés jusqu’à enterrer vivants des prêtres catholiques. De nos jours, ça reste une ville un peu enclavée, dans un département qui n’est pas très peuplé. Du coup c’est un endroit qu’on aime beaucoup, car il y a beaucoup de nature, le site est exceptionnel et riche de nombreux monuments. Certains debout, d’autres en ruines…

Il est amusant de constater qu’avec Gergovia, il existe deux groupes de metal extrême exaltant jusque dans leur nom la région Auvergne. Cette conscience identitaire n’a pas d’expression équivalente ailleurs en France, à ma connaissance. C’est peut-être le cas en Bretagne ou au Pays Basque mais je n’ai même pas d’exemple de groupe en tête. D’après vous, où chercher la raison de ce besoin finalement très auvergnat – je parle d’expérience – de faire savoir d’où l’on vient et pourquoi l’on en est fier ? Est-ce du chauvinisme au sens le plus basique, ou y a-t-il une volonté de “réparation” devant le constat que finalement, l’Auvergne est peu connue et reconnue en dehors de ses frontières, et n’existe souvent que par des clichés (volcans, Michelin, ruralité…) dans la représentation générale qui en est faite ?

Ash : En fait, il faut savoir qu’on ne parle pas uniquement de cette région. Le Pays occitan, ce n’est pas seulement la région Auvergne ! Ca part du nord de l’Italie, du nord de l’Espagne également, ça va jusqu’à Limoges, ça comprend le Languedoc, etc. Nous retraçons dans nos chansons les principaux événements occitans, comme les Cathares. Même si nous maîtrisons mieux l’histoire de l’Auvergne, on essaye au maximum de couvrir l’histoire de toutes les régions qui font le pays occitan. Pour ce qui est de notre rapport à l’Auvergne, cela n’a rien à voir avec du chauvinisme au sens strict, puisque nous ne limitons pas nos textes uniquement à cette région. Tu parles de Gergovia, qui se situe pour le coup assez dans le cliché que tu viens de citer, puisqu’il joue beaucoup sur les volcans, par exemple… Mais on ne le juge pas : il fait sa musique, il a son public… Bref, après y a-t-il une conscience identitaire ? Je parlerais plutôt d’une conscience du patrimoine, de ce que nous ont légué nos ancêtres. C’est un héritage qu’il faut conserver, dont il faut parler ! Si certaines régions n’ont pas d’histoire, ce n’est pas le cas de la notre !

Pouvez-vous à présent nous faire un petit tour d’horizon d’Aorlhac? A quoi ressemble le line-up actuel ? A-t-il évolué depuis les débuts du groupe ?

Spellbound : Les débuts du groupe sont partis d’Ash (basse, textes) et de NKS (guitare, composition), qui jouaient tous les deux dans Astaroth. Mais suite à des désaccords au sein de ce groupe, ils ont décidé de créer un autre projet, plus conséquent, dans un style un peu plus poussé, black mais ouvert à différents styles comme on peut l’écouter sur l’album. On ressent également des influences médiévales au niveau des mélodies et des ambiances. Ils ont donc composé deux premières chansons en duo. Ash me connaissant un peu, il m’a ensuite proposé de rejoindre le projet, ce qui a permis de finaliser les compos en enregistrant les voix. Le line-up a très peu évolué. Certains invités sont venus occasionnellement apporté leur pierre à l’édifice. On remercie au passage Lonn (guitariste de Towersound) qui réalise le solo de notre reprise du “With strength I burn” d’Emperor, et Carine Dubarry qui va jouer du violon sur le second album.

Parlons un peu du black metal en Auvergne, qui me semble dans un état de fertilité assez inédit . A part vous, je pense essentiellement à Sühnopfer, extrêmement prometteur en termes de qualité. D’ailleurs les correspondances musicales entre Aorlhac et Sühnopfer ne sont pas inexistantes, les deux groupes célébrant à leur manière l’héritage des années 90 avec un son très brut et une écriture mélodique très intense. Est-ce fortuit ? Es-tu d’accord si je dis que Sühnopfer et Aorlhac sont en quelque sorte deux alter ego ayant pour vo cation de grandir en parallèle ?

NKS : En fait nous connaissons très bien Ardraos de Sühnopfer, nous apprécions réellement ce qu’il fait, mais je ne pense pas vraiment qu’on puisse parler de parallèle. Pour revenir un peu sur l’histoire du groupe, Ash et moi étions donc dans Astaroth, et nous avons senti le besoin de faire autre chose, et l’envie d’aller vers quelque chose qui se rapproche du style d’Aorlhac. Nous n’avions pas la prétention de faire quelque chose de spécialement nouveau, mais on voulait quelque chose qui nous corresponde davantage. Pour en revenir à Sünopfer, musicalement parlant, je ne vois pas vraiment de comparaison. Tu parles des années 90, qui effectivement représentent pour la meilleure période du black metal, mais nous ne sommes pas prisonniers de cette époque. On essaye d’aller voir ailleurs, tout en s’efforçant de dégager une certaine dose d’originalité, et surtout de personnalité.

Ash : le seul parallèle qu’on peut faire avec Sühnopfer, c’est que nos deux groupes font en quelque sorte la promotion de la région Auvergne, de son patrimoine. Mais nous le faisons chacun à notre manière. Ardraos s’attache davantage à redonner vie aux ruines du Bourbonnais, à travers des chansons comme “Brume sur le Chastel”, alors que nous sommes vraiment axés sur la culture occitane, sur l’Histoire mais aussi beaucoup sur des légendes.

Pouvez-vous citer d’autres groupes underground auvergnats qui valent le détour en ce moment ? Pourriez-vous envisager de participer à une compilation destinée à mettre en avant les groupes du terroir , à l’image de ce qu’on voit fleurir dans les pays de l’Est par exemple, si un tel projet venait à voir le jour ?

Ash : Il y a pas mal de bons groupes en Auvergne. Tu parlais tout à l’heure de Sühnopfer, son prochain album va sûrement faire parler de lui. Il y a également Sigillum Diabolicum, qui a notamment joué avec Peste Noire et à l’étranger. Il y en a bien d’autres. Nous avons déjà pensé à une compil auvergnate mais je ne suis pas sûr au final que les gens en attendent une. C’est à réfléchir…

Votre récente signature chez Those Opposed Records, un label du cru, ne paraît pas surprenante . Comment cette collaboration s’est-elle dessinée ? Bien que ce ne soit pas forcément votre rôle, pouvez-vous jouer les intermédiaires et nous faire une rapide présentation de ce label ? Quelles sont ses groupes/sorties les plus intéressants à vos yeux et qu’est-ce qui vous plaît dans sa philosophie, sa façon de travailler ?

Ash : Il faut déjà savoir que Noël de Those Opposed Records est un très bon ami à moi. Le travail qu’il fait sur son label est assez exceptionnel, puisqu’il a acquis une bonne réputation en très peu de temps. Ensuite, il a le don de choisir et de produire de très bons groupes. Je pense à Irrwisch, dernièrement, ou à Kawir un peu plus tôt. Au début, nous n’avions même pas parlé entre nous d’une signature, ou alors pour un troisième album, voire plus loin, Noël étant quelqu’un qui ne fait pas passer l’amitié avant, entre guillemets, le “professionnel.” Mais au final, je pense – et j’espère ne pas trop m’avancer – qu’il a été convaincu par notre musique, et qu’il a vraiment voulu signer notre deuxième album. De notre côté, nous avons été ravis car premièrement c’est un label que l’on respecte énormément, et deuxièmement il y avait en effet une facilité, puisqu’il réside à côté de Clermont-Ferrand. C’est une opportunité que nous avons saisie.

NKS : La proximité, c’est effectivement le gros avantage. C’est quelqu’un que nous connaissions physiquement, on l’a senti motivé, et on lui fait totalement confiance. C’est un label en plein boom, tous les groupes qu’il signe marchent plutôt bien. On a reçu d’autres propositions, mais on avait la sensation en signant chez lui qu’on n’allait pas être un groupe de plus sur un label quelconque. Je pense que TOR est à l’écoute du groupe.

J’ai lu dans une autre interview, il me semble, que les membres du groupe sont dispersés sur une zone géographique assez vaste. Arrivez-vous à gérer cet inconvénient de manière satisfaisante pour travailler aux compositions ? Cette question est-elle résolue par le fait qu’un seul d’entre vous est responsable de la majeure partie de l’écriture ?

Spellbound : Les joies d’Internet… Effectivement nous sommes relativement éloignés même si ça reste raisonnable dorénavant. Je suis à Saint-Flour (pendant un an j’ai quand même résidé à Cannes), ils sont à Clermont-Ferrand, c’est 100 bornes en gros. Ce n’est pas énorme, mais dans la mesure où on est un groupe assez récent on n’a pas encore pu mettre en place de répétitions. Pour le moment on reste dans une optique de compositions. NKS compose en grande partie les titres, aidé par Ash. Ils m’envoient ensuite les parties terminées pour que j’enregistre le chant. Ensuite c’est l’étape du mixage, auquel nous procédons en général ensemble.

NKS : De toute façon la distance ne nous freine pas vraiment vu notre méthode de travail qui consiste a avancer par étapes : c’est à dire composer quelques riffs, les faire écouter à Ash, et une fois que ça commence à prendre forme, on sollicite Spellbound pour voir ce que ça peut donner avec du chant. On ne répète pas. On n’a donc pas besoin de se voir en permanence. Au contraire je pense que ça nous laisse plus de liberté contrairement à la composition d’ensemble, des compromis en quelque sortes ce que je trouve plus difficile à gérer.

J’ai cru comprendre que votre album A la Croisée des Vents était le premier chapitre d’une trilogie. Pouvez-vous expliquer ce qu’il en est du ou des thèmes majeurs qui en seront le fil conducteur ? En quoi se traduiront-ils au fil des textes ou des artworks, par exemple ?

Ash : Encore une fois, les thèmes que nous développons ont trait à l’histoire occitane. Ce sont en général des événements et des légendes que l’on retrouve régulièrement quand on connaît un peu cette région. Je mentionnais les Cathares évidemment. Sur le prochain album on va par exemple parler du Drac, qui est une sorte de démon aquatique avec lequel les bonnes femmes avaient pour habitude d’effrayer les enfants, pour éviter qu’ils ne s’approchent des puits ou des rivières. Ceci dit, on arrange toutes ces histoires à notre sauce, faut pas croire qu’on colle exactement aux récits d’origine. Ca reste de la musique, on n’est pas un livre d’Histoire. On retrouvera également une chanson sur Saint-Flour et sur Alleuze. Ce sera le fil conducteur des trois albums.

D’autre part, quel était pour vous dans ce contexte l’intérêt de faire rééditer l’intégralité du premier album – certes augmenté de deux morceaux – sous un autre titre ( Opus I ). Pourquoi pas une simple réédition sous le même nom ? Et d’ailleurs pourquoi cette réédition ne s’est-elle pas faite chez Those Opposed, mais sous un autre label (Thor’s Hammer Productions) ?

Ash : Pour la question du label je pense que Noël n’était pas spécialement intéressé pour rééditer le premier album. Il préférait partir sur quelque chose d’inédit. Par contre Thor’s Hammer nous a offert cette opportunité et on en a profité pour inclure les chansons de la version tape, qui était à la base éditée sur un label canadien du nom de Pestilence. Pour ce qui est du nom, Opus I, c’est tout simplement parce que Thor’s Hammer voulait faire une distinction par rapport à la sortie d’origine.

Spellbound : J’ajouterais que ça nous titillait un peu de sortir un projet regroupant toutes nos chansons à ce jour, donc en ce sens c’était une bonne initiative de leur part. Nous remercions au passage ce label qui nous a témoigné de sa confiance.

Un des atouts d’Aorlhac par rapport à bien d’autres groupes réside selon moi dans la faculté que vous avez à sortir des enchaînements inattendus mais néanmoins sans dommage pour la fluidité des titres, avec pour résultat des morceaux qui parfois s’éloignent assez radicalement de l’idée qu’on peut s’en faire dans les premiers riffs. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet ? Est-ce que vous avez l’impression d’être un groupe particulièrement perméable aux “divagations” dans l’écriture – éventuellement par rapport à ce à quoi vous êtes ou étiez habitués dans d’autres groupes ?

NKS : Je pense que notre musique est un subtil mélange de tout ce qu’on voulait faire avec Ash depuis un bout de temps. Effectivement il existe cette crainte de dérailler, de partir dans tous les sens. Ce qui nous importe c’est de trouver un juste milieu, dans le sens où on voulait éviter tout côté répétitif, ce qui explique ces enchaînements peut-être un peu déroutants, tout en préservant une certaine continuité. Après, le fait que tout ait été fait dans un laps de temps assez court explique peut-être cette impression que tout est un peu mélangé : riff1, riff2, riff 3, etc. Mais il n’en est rien, l’écriture a suivi une continuité dictée par la volonté de ne pas s’arrêter sur un style en particulier, si possible de surprendre un peu, et surtout, sans aucun compromis

Spellbound : On a vraiment pour objectif que l’auditeur ne s’ennuie jamais pendant le morceau. En tant que chanteur ce fut assez déstabilisant de recevoir les morceaux sur lesquels je devais enregistrer sur le premier album. En effet, il n’y a pas un riff qui revient plusieurs fois au sein des chansons. Au moment de placer des lignes de chant là-dessus, je les ai un peu maudits je dois dire. Il n’y a pas vraiment de partie où accrocher un refrain. Mais en même temps c’est génial ! Les gens perçoivent tout de suite que nous n’avons pas de construction classique, genre couplet/refrain etc. C’est carrément plus intéressant, et les bonnes chroniques qu’on reçoit prouvent quelque part que notre démarche est bonne.

NKS : On a vraiment fonctionné à l’instinct dès le départ, sans prétention, sans se soucier de savoir si les gens allaient être perdus. En plus le chant particulier de Spellbound plaque une vraie valeur ajoutée sur notre musique.

L’élément folklorique et médiéval fait ses apparitions dans certains thèmes mélodiques, mais sans jamais détourner le son de son esthétique crue et sans ambages. Pouvez-vous parler de la façon dont vous concevez l’intégration des parties “terroir” dans votre metal ? Avez-vous l’ambition de développer cet aspect ? Pensez-vous que la possibilité de faire appel, par exemple, à des instruments anciens authentiques, ou à des chœurs confiés à des chanteurs spéciali sés, risquerait de dénaturer le ton que vous voulez insuffler à votre musique ?

NKS : Pour le côté musical, on a fait certaines recherches, on essaye de faire revivre certaines mélodies qu’on adapte à la sauce Aorlhac. Ca se ressentira davantage sur nos prochains albums. Mine de rien, l’Auvergne a une culture musicale que les gens connaissent très peu, et qu’on trouve important de partager, peu importe si ça a un côté vieillot à la base, avec les bourrées, etc. Pour ce qui est des passages purement folks et acoustiques, c’est quelque chose de très délicat à intégrer. Sur le prochain album il y en aura en fait un peu moins. Par contre on a utilisé du violon cette fois. L’envie de rajouter d’autres instruments traditionnels est présente. On avait pensé à l’accordéon par exemple, mais on fait attention de ne pas trop en faire non plus, car on risquerait en effet très vite de perdre un peu de l’identité du groupe. Peut-être fera-t-on un jour un album tout acoustique avec du chant clair, qui sait ?

Lorsque j’essaye d’intéresser des gens à Aorlhac, j’ai tendance à recourir à un rapide parallèle avec Iron Maiden, pour le côté spontané, impétueux de l’instinct mélodique qui anime certaines entames… Est-ce une comparaison valide selon vous, voire une influence que vous revendiquez ? Avez-vous le sentiment que la personnalité épique du groupe doit davantage au heavy metal pur qu’au black metal mélodique, plus axé sur le tremolo picking et la vitesse des tempos ?

NKS : C’est un vrai compliment que les gens nous font en évoquant Maiden. En général on nous en parle par rapport à un riff assez épique à la fin du “1693-1694, Famine et Anthropophagie”, un petit clin d’œil qu’on a voulu leur faire. Effectivement c’est une influence que je revendique à titre personnel. Il n’est pas question de tourner le dos à nos racines musicales qui datent des années 80, avec Iron Maiden, Metallica, Judas Priest et tous ces groupes… J’en ai écouté, on en a tous écouté. Mais il ne s’agit pas non plus de nous prendre pour les Maiden du black metal, ce n’est pas du tout notre envie !

Spellbound : On n’est pas du tout focalisés sur un style en particulier. Nos influences sont assez vastes. Elles vont du black au heavy, en passant par des riffs plus thrash, voire rock. Aorlhac ne se limite vraiment pas au black metal.

Ash : Si tu prends le début du “Charroi de Nîmes” par exemple, on peut y voir l’ombre de groupes comme AC/DC, Motörhead, voire Mercyful Fate. Bref, à la base ce riff particulier est parti d’un trip. NKS m’a fait écouter un truc pendant qu’on testait différents sons, et j’en suis resté bouche bée, j’ai trouvé ça énorme et j’ai insisté pour qu’on s’en serve. C’est tout le temps comme ça, si un riff nous plaît, même si ça part très loin, on le garde !

J’aimerais que l’on s’arrête plus en détail sur certains morceaux d’ A la Croisée des Vents . Et avant toute chose j’ai été surpris (et un peu déçu) de ne pas en retrouver les paroles dans le livret de Opus I . Sont-elles également absentes de l’édition d’origine et si oui quelle est la raison de ce choix ?

Ash : A l’origine, sur l’édition d’Eisiger Mond Productions, les paroles sont présentes. Sur la nouvelle édition chez Thor’s Hammer Productions, on a été limités par le fait que le livret est une double page, et que quoi qu’on fasse on ne pouvait pas y rentrer les textes, à moins de les lire à la loupe. On s’est donc permis, à la place, d’y mettre des photos qui reprennent à chaque fois le thème du morceau en question. C’est une façon de faire qui nous a semblée intéressante. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas les paroles. On va peut-être trouver une solution pour les possesseurs de cette édition, par exemple via un site Internet, on n’en sait encore rien.

“La guillotine est fort expéditive” semble ne pas laisser planer trop de mystère sur son propos. Ce morceau fait-il référence à un événement historique en particulier ? Avez-vous pris soin d’y placer vos riffs les plus tranchants ?

Ash : C’est un morceau qui traite de la Révolution, notamment de Georges Couthon qui était l’un des bras droits de Robespierre. Le propos de notre chanson est un peu de descendre ce personnage en flèche, non pas parce que c’était un révolutionnaire engagé, mais plutôt pour tous les dégâts sur le patrimoine qu’il a causés à travers ses actes, notamment à Clermont et à Lyon.

NKS : C’est un de nos morceaux les plus longs et agressifs.

Même question pour “Le Charroi de Nîmes.” Le morceau est a priori basé sur un épisode bien précis de l’Histoire médiévale occitane, mais comme je n’ai pas fait mes devoirs je vous serais reconnaissant de m’éclairer sur ce point.

Ash : Précis, oui et non… Le titre est basé sur le personnage de Guillaume de Gellone, qui était la figure du chevalier modèle. J’ai essayé de conter son histoire d’une façon un peu médiévale, justement. L’objectif était d’essayer d’adopter une écriture médiévale, tout en gardant un français moderne.

“1693-1694, Famine et Anthropophagie” relate un chapitre sombre et souvent occulté du règne de Louis XIV : la grande famine au cours de laquelle plus d’un million et demi de sujets ont succombé dans les campagn es à la misère et aux épidémies … Sous quel angle abordez-vous le sujet dans votre morceau ? Avez-vous eu recours à un travail de documentation ? Si oui avez-vous des ouvrages à recommander sur cette période ?

Ash : Il y a pas mal d’ouvrages là-dessus, oui. A la base notre approche est en effet assez scientifique puisqu’on se cale sur des écrits d’historiens, notamment de la région comme Pierre Charbonnier par exemple. Ce que j’aime particulièrement dans cette chanson, c’est le contraste entre l’aspect assez mélodique, voire festif vers la fin avec le chant clair, et les paroles qui sont très sombres. Cette période date effectivement de la fin du règne de Louis XIV, où se sont succédés plusieurs hivers très rudes. Les Cantalous mourraient de faim, des femmes en venaient à manger leurs bébés, c’était assez sérieux comme situation. C’est donc ce contraste entre les faits et la musique qu’on a voulus faire ressortir, car on ne peut pas dire que la chanson fasse déprimer. Elle met plutôt la patate !

A quand un album concept sur la Bête du Gévaudan ?

Spellbound : Quand on sera lozériens (rires).

Ash : Ouais, c’est pas loin de Saint-Flour mais non, ça ne nous attire pas plus que ça, vu que tout le monde connaît cette histoire. Nous préférons généralement des vieux dossiers plus confidentiels.

Concevez-vous Aorlhac comme un groupe de scène ? Travaillez-vous à raccrocher des opportunités de tournée, de festivals, ou tout cela est-il un peu distant dans votre esprit ? Avez-vous déjà eu affaire au business des tourneurs, ne serait-ce que par des contacts, et si oui quel regard portez-vous sur la chose ?

NKS : On a déjà bénéficié d’une petite expérience dans Astaroth. On n’a pas vraiment été confrontés à des tourneurs mais on a déjà pu tisser pas mal de liens, de contacts à travers la scène metal française, et on a reçu beaucoup de propositions. Ça nous travaille un peu car c’est vrai que nous sommes impatients de monter sur scène et de défendre nos compos. Mais pour le moment la priorité reste donnée à du nouveau matériel et à la construction de notre identité, histoire d’avoir suffisamment de compositions, un répertoire dans lequel piocher pour la scène. C’est un gros projet sur lequel nous travaillons. On a déjà pris contact avec pas mal de musiciens de session qui seraient intéressés pour jouer à nos côtés.

Spellbound : On a décliné une bonne dizaine de propositions pour l’instant, dont certaines qui tiennent toujours. C’est déjà pas mal dans la mesure où on n’a jamais fait de démarche dans ce sens. Il s’agissait principalement de concerts isolés.

NKS : Le bouche-à-oreille sur Internet marche bien apparemment. Ca nous fait plaisir puisqu’il y a pas mal de gens qui nous sollicitent et qu’il ne nous reste plus qu’à être prêts et à dire oui pour commencer à jouer et à faire des tournées. Mais nous ne ferons pas n’importe quoi tant que nous ne serons pas fins prêts.

Au sujet d’Internet justement et plus largement du rapport à la musique des « jeunes » de nos jours. J’ai lu je ne sais plus où qu’un pourcentage vraiment infime de moins de 20 ans disent acheter encore des CDs de manière régulière – je ne sais plus de combien il était mais très au-dessous de ce que je pouvais imaginer. Jusqu’à présent le chiffon rouge de la dématérialisation à très grande échelle de la production musicale restait plus ou moins un fantasme agité par quelques cyber-alchimistes et maisons de disques désireuses de faire décoller leurs plates-formes de téléchargement… M ais pensez-vous qu’on risque maintenant de se diriger très rapidement vers une révolution dans ce domaine de par l’évolution des mœurs et l’obsolescence commerciale du support CD/vinyle – y compris dans le metal même si l’attachement à l’objet semble y rester plus fort ? Pensez-vous que le fait de devoir proposer vos enregistrements en ligne laisserait votre motivation de composer et de jouer intacte ?

Spellbound : Les gens font ce qu’ils veulent de leur argent mais personnellement je suis attaché au support CD. En revanche, le téléchargement fait partie de l’évolution de la société, il faut faire avec. Et si ça permet de faire découvrir Aorlhac à plus de personnes, c’est même une bonne chose je dirais.
Mais de toute manière, la population que tu décris n’est pas celle que nous visons en premier par notre musique, on recherche un public plus mature. Leur mentalité changera peut être avec le temps. Mais nous faisons avant tout de la musique pour nous donc notre motivation sera toujours la même.

Les gens qui ne mangent pas de fromage vous font-ils de la peine ? Où mange-t-on la meilleure truffade par chez-vous ?

NKS : Les gens qui ne mangent pas de fromage ne méritent pas de vivre. On mange la meilleure truffade au Pavé de bœuf à Aurillac où dans les burons de montagne.

A l’heure où l’écologie est mise à toutes les sauces, notamment au gré de récupérations politiques, comment vous situez-vous sur ce terrain, qui ne vous est sans doute pas indifférent du fait de votre localisation ? Suivez-vous scrupuleusement certains préceptes environnementaux et vous arrive-t-il de vous désoler de certaines attitudes ou inconséquences de la part de vos concitoyens ?

Spellbound : Je dirais que ça va au-delà de l’écologie. Evidemment on vit dans une région qu’on a envie de préserver, puisqu’on la défend à travers notre musique. Mais ce que je condamne avant tout c’est la connerie humaine, quelle que soit ses origines. Tu me parles d’actes dans la vie de tous les jours, il est bien évident par exemple qu’une fois que j’aurais fini ma bière je ne vais pas la poser et la laisser ici. C’est simple comme bonjour mais ce n’est pas le cas de tout le monde, loin de là. De toute façon la Terre est morte avant l’heure, c’est un peu tard maintenant. Et comme quoi on en revient toujours à la musique, c’est d’une certaine façon cette rancœur vis-à-vis de la connerie des hommes que tu retrouves dans ma façon de chanter.

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