Uncommon Grounds est une exploration ambitieuse de la part de CKRAFT, un jeune groupe parisien qui navigue entre jazz fusion et métal instrumental. Cet album, leur second, repousse les limites de ces genres en intégrant des instruments atypiques—notamment l’accordéon et le saxophone ténor—en plus de la base plus classique guitare/basse/batterie. L’accordéon, rarement entendu dans le métal, joue un rôle central dans leur son, son interprète étant aussi l’un des principaux compositeurs. Cette instrumentation singulière permet à CKRAFT de créer des paysages sonores où des mélodies inhabituelles se mêlent à un métal moderne souvent marqué par des riffs polyrythmiques, pour un résultat à la fois complexe et immersif.
L’album s’ouvre sur « All You Can Kill », qui donne immédiatement le ton avec un solo de batterie intense, avant de plonger dans un mélange de djent et d’échanges complexes entre l’accordéon et le saxophone. « Misconstruction of the Universe » illustre bien la capacité du groupe à fusionner riffs agressifs et improvisations jazz, tandis que « Pageantrivia » et « Nostre » mettent en avant des influences mélodiques médiévales.
L’influence de Meshuggah est évidente dans l’aspect métal du groupe. Leur album Destroy Erase Improve (1995) intégrait déjà des éléments de jazz fusion dans un contexte métal, une direction que CKRAFT pousse encore plus loin avec une approche résolument tournée vers le jazz, tout en restant ancré dans un univers heavy/métal. Le groupe partage également des similitudes avec Panzerballett, formation allemande qui expérimente avec la fusion jazz-métal à travers plusieurs albums depuis leur premier opus éponyme en 2005. L’influence du Mahavishnu Orchestra se fait également ressentir dans la richesse de leurs compositions, témoignant d’un même souci de complexité et d’innovation. Les mélodies de saxophone rappellent aussi l’approche avant-gardiste de Naked City de John Zorn, ajoutant une touche d’imprévisibilité et de tension à leur son. Enfin, CKRAFT s’inscrit dans la lignée du projet expérimental T.R.A.M., qui fusionne jazz et métal progressif avec la participation de Tosin Abasi et Javier Reyes d’Animals as Leaders, ainsi qu’un membre de The Mars Volta, sur leur unique EP Lingua Franca (2012).
J’apprécie tous ces groupes, et l’audace et la technicité de Ckraft sur cet album m’ont rapidement happé. Les huit morceaux sont captivants, imprévisibles et stimulants—un must pour les amateurs de métal comme de jazz. Cependant, cette fusion ambitieuse peut diviser. Certains auditeurs pourraient trouver le mélange entre l’accordéon, le saxophone et le métal difficile à appréhender. Il faut certainement s’y faire. Si l’usage de ces instruments ne me dérange pas, leur omniprésence et leur sonorité uniforme sur l’ensemble de l’album peuvent donner une impression de redondance. Malgré cela, Uncommon Grounds témoigne de l’approche unique de CKRAFT dans l’univers de la fusion jazz-métal et mérite d’être découvert.