Il y a deux ans, les anglais de The Horrors créaient la sensation rock du moment avec leur premier album, Strange House. Grâce à son mélange garage-punk-goth (et son look adéquat), le groupe réussissait là où les Eighties Matchbox B-Line Disaster avaient malheureusement échoué 5 ans plus tôt (et ce, en puisant dans les mêmes influences : Cramps, Bauhaus, Birthday Party, surf-rock…). L’art du bon moment. Pas uniquement. Soyons honnêtes, passé la hype, les Horrors pouvaient déjà être considérés comme un excellent groupe aux chansons très efficaces. Restait à savoir comment ils allaient consolider leur discographie. Répéter la même formule, comme tout bon garage band qui se respecte, ou jouer l’évolution et la surprise ?
Déjà, le premier single « A Sea Within A Sea » sorti quelques semaines avant l’album avait de quoi surprendre. Dépassant les 7 minutes, le morceau sonne comme une jam krautrock entre Joy Division et Kraftwerk. Ambiance glauque, arrangements richement minimalistes, mélodie entêtante, réussite incontestable. Ensuite, alors que la pochette de leur premier album (en forme de clin d’œil aux New-York Dolls) semblait dire : « Nous voilà, tels que nous sommes», le flou de celle de Primary Colours (en plus de la référence à Pornography de Cure) annonce clairement : « Nous vous avons berné. Nous sommes insaisissables ».
Pied de nez totalement confirmé dès les premières secondes de ce deuxième album. Et pas qu’un peu. En s’enfermant pendant des semaines dans un local sans fenêtres, pour composer et répéter, les cinq anglais ont fait subir une noire transformation à leur musique. Et sont passés du garage-punk 60’s au post-rock/batcave de la fin des années 70. Le tout sous guitares shoegaze poussées dans des limites électriques rarement entendues. Après les rythmes zombis dansants de leur premier album, les Horrors ont décidé de soigner les ambiances. Et de les faire de préférence bien sombres (« Mirror’s Image », « Scarlet Fields »). Le groupe est cultivé et connaît son histoire du rock. Ainsi, le voilà qui s’inscrit dans la lignée de ce qu’il s’est fait de mieux en matière de spleen musical britannique. Des dissonances des Jesus And Mary Chain à l’hypnotisme des Psychedelic Furs, en passant par la mélancolie d’Echo And The Bunnymen. Mais d’autres inspirations se cachent dans les recoins ténébreux de ces chansons : Les décidemment inévitables My bloody Valentine, pour les guitares ; Et sur « Do You Remember », le groupe imagine avec brio une version gothique des Stones Roses.
Là où on ne peut que saluer le talent de ces jeunes gens, c’est qu’à aucun moment cette évolution ne semble incongrue. Tout d’abord, parce que les influences 60’s n’ont pas totalement disparues et permettent donc un certain liant : Le passage parlé de « Who Can Say » (formidable chanson de rupture) où le chanteur Faris Rotter n’hésite pas à citer un extrait d’un texte du girl group The Shangri-La’s ; Ou le rythme de « I Only Think Of You », fortement inspiré de celui des chansons des Ronettes. L’autre élément, et certainement le plus important, réside dans la production du disque. Certains, parmi les plus chagrins, avaient reproché le trop plein de producteurs (et de production) de Strange House. Cette fois-ci, les Horrors ont travaillé essentiellement avec Geoff Barrow (Portishead) et ont considérablement homogénéisé leur son. A tel point que sur l’intégralité de ce disque, le groupe maîtrise parfaitement cet équilibre rare où tous les instruments se fondent dans un magma sonique tout en restant parfaitement identifiables. Les guitares lézardent les remparts gothiques installés par les claviers, alors que la basse, froide comme l’acier, colle à une batterie macabre pour soutenir le tout. Au milieu de ce sombre maelstrom psychédélique, la voix grave, inquiétante et tendue de Faris, bien décidé à se faire une place dans la catégorie des chanteurs à gorge caverneuse.
Devant ces ambiances crépusculaires, on pourrait regretter la furie punk d’un « Sheena Is A Parasite » ou la fougue d’un « Count In Five ». Pas longtemps. Le groupe sait faire preuve d’une irritation contenue (« Three Decades ») qui laisse parfois éclater l’orage. A l’image de ce « New Ice Age », dont la rage froide n’est pas sans rappeler celle de Joy Division (est-ce un hasard si le titre même de la chanson fait échos au « Ice Age » du même groupe ?).
Beaucoup ont trop facilement rangé The Horrors dans la catégorie des « groupes qui font plus attention à leur look qu’à leur musique ». Ils prouvent aujourd’hui qu’ils sont de véritables musiciens, inspirés et ambitieux, et s’imposent définitivement dans le trio de tête du brit-rock contemporain.
(Pour l’anecdote amusante, on notera que les Horrors sont peut-être le premier groupe à effectuer un changement de line-up en gardant les mêmes membres : Spider Webb, et Tomethy Furse, respectivement clavier et bassiste sur le premier album, ont décidé de s’échanger leurs instruments sur ce nouvel enregistrement.)
- mirror’s image
- three decades
- who can say
- do you remember
- new ice age
- scarlet fields
- i only think of you
- i can’t control myself
- primary colours
- sea within a sea
Sweeeeeeeeet !!!!!
Belle chronique Mister. Ca m’a donné envie de me pencher sur ce groupe que je ne connaissais absolument pas. Je m’en vais écouter cet album et le précédent du coup.
Il ne faut pas hésiter à dire qu’avec ce disque The Horrors a totalement retourné sa veste.. ils l’ont fait avec un grand talent certes mais ont totalement laissé tombé leur son garage de fou pour une musique extrêmement proche de Joy Division (en un peu plus vaporeux) ou bien Interpol. Ca reste un très bon album sans aucun doute mais assez déroutant pour les fanas des ambiances à la Birthday Party et autres groupes de barjots.