Lorsque la mort s’impose comme seule issue, le désespoir cède le pas à la résignation. La lutte rageuse contre la souffrance et les tourments s’achève rapidement, l’espoir disparaît pour consacrer la victoire progressive de la Grande Faucheuse. À l’image de son austère pochette représentant un monument funéraire, Closer est un monolithe funèbre et glacial, une incantation mortuaire, l’acceptation de la défaite du vivant, un accueil fataliste de l’au-delà qui dessine les prémices d’un suicide.
« This is the way, step inside » scande Ian Curtis sur le titre d’ouverture. Accepter cette invitation et se plonger dans Closer revient à explorer les tréfonds de l’âme humaine et à humer le parfum de la mort. La rythmique tortueuse et martiale d’Atrocity Exhibation nous happe, le malaise s’installe pour dessiner ce musée des horreurs et peindre la souffrance d’un Ian Curtis faisant face à ses démons, épileptique fragile incapable de faire face aux regards des autres. Si ce n’est en s’isolant. Isolation marque ainsi le début de la résignation, la fin du combat. Mais également un changement musical. Exit les influences punk des origines : en devenant l’exutoire d’un chanteur-parolier en perdition, Joy Division dessine les contours de la coldwave. Les claviers font leur apparition (notamment sous l’impulsion du producteur Martin Hannett), la rythmique martiale accentue le minimalisme des morceaux, la voix hantée de Ian Curtis surplombe l’orchestration éthérée. Plus longues, plus simples, les compositions martèlent leur noirceur, imposent progressivement leur fatalité, récitent implacablement leur oraison funèbre. L’ombre de la mort surgit et le malaise est palpable, tandis que les guitares stridentes et criardes entrecoupent des lignes de basse hypnotiques qui influenceront tant de groupes. Avec une production dépouillée et mécanisée, le silence et l’espace deviennent partie intégrante de la musique, créant des paysages hypnotiques et glaciaux. Heart and Soul instaure un climat encore plus troublant, initiant l’ambiance quasi-religieuse qui hantera cette somptueuse fin d’album, avec cet incroyable final qui consacre l’effondrement de l’âme et de l’existence. D’une noirceur totale qui frôle l’insoutenable, The Eternal est une magnifique marche funèbre épique évoquant la continuelle disparition des êtres et de la vie, portée par des vocalises plus fragiles que jamais. Enfin, au milieu de cette tristesse absolue, les nappes de synthé de Decades laissent entrevoir un étrange détachement. Celui de l’approche du néant.
Survenu un peu plus d’un mois après l’enregistrement de l’album, le suicide d’Ian Curtis renforcera évidemment le mythe, l’ombre du chanteur disparu hantant définitivement cette œuvre aux allures de testament prémonitoire. Au-delà de cette réalité qu’il annonce et qui le rattrapera ensuite, Closer est avant tout une œuvre musicale essentielle, de celles qui fondent un style, qui marquent de façon irrémédiable et qui touchent au plus profond, là où cela est le plus douloureux.
Tracklist:
1. « Atrocity Exhibition »
2. « Isolation »
3. « Passover »
4. « Colony »
5. « A Means to an End »
6. « Heart and Soul »
7. « Twenty Four Hours »
8. « The Eternal »
9. « Decades »
Complètement d’accord avec la chronique, cet album est un pur bijou intemporel.
Une bonne chronique et je vous invite à voir le film « Control » à propos de ce magnifique groupe.