« Francis Bacon » de Michel Peppiatt

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Annee de sortie: 2010

Un artiste capable de retranscrire dans toute sa noire vérité ce que chacun ne souhaite pas montrer ne peut qu’être descendu dans les bas-fonds abyssaux que nulle personne sensée ne souhaiterait rejoindre. « Pour trouver sa voie, il faut être aussi libre que possible d’aller à la dérive » : combien Francis Bacon a suivi à la lettre ce principe qu’il a lui-même formulé.

Sans tomber dans la description de l’anecdotique macabre, l’auteur lève dans cette biographie le voile sur de nombreuses facettes que le peintre irlandais a plus vécu que raconté. Contre l’avis de Bacon pour qui la vie ne devrait pas entrer en ligne de compte pour l’analyse d’une œuvre, on ne peut s’empêcher, à la lecture de ces multiples péripéties et rencontres, d’y voir la profondeur nécessaire à l’émergence de son art pictural. Son premier véritable choc artistique provint, étonnement, du plus grand peintre français du classicisme – à savoir Nicolas Poussin – à travers son tableau « le massacre des innocents ». Bacon y trouvera ce qu’il qualifiera de « plus beau cri humain qu’on ait jamais peint ». Ses débuts dans la peinture furent difficiles et il connut plusieurs années pendant lesquelles il ne s’adonna qu’à la création de meubles ou à la décoration d’intérieur. Plusieurs rencontres jalonneront sa vie et lui permettront par leur affection (d’une nuit ou d’une vie) et leur mécénat de continuer dans la voie qu’il souhaitait se tracer. Si l’influence de Picasso semble être une évidence, on est plus étonné d’apprendre que l’un des peintres les plus admirés de l’irlandais était Vélasquez sauf lorsque l’on sait que ses portraits de pape sont de multiples variations sur celui d’Innocent X peint par l’illustre espagnol quelques siècles auparavant. Il trouve également une source d’inspiration aussi bien dans le cinéma (Eisenstein) que dans la littérature (Eschyle, T. S. Elliot) ou la photographie (il accumule un nombre incroyable de photos morbides : scènes de meurtres, de guerres, médicales, notamment des infections de la bouche, organe qui le fascine). Bacon considérant que son art n’avait rien à dire, les éclairages biographiques et les conjectures de l’auteur ouvrent quelques pistes de réflexion qui ne paraissent pas saugrenues.

L’ouvrage parvient également à bien retranscrire l’évolution de l’accueil fait à l’œuvre de l’artiste à travers des références non rébarbatives à des commentateurs de l’époque ce qui permet de replacer dans son contexte un art qui pourrait aujourd’hui ne plus paraître aussi fort.
Comme je le disais ci-avant, les anecdotes ne sont jamais occasion de voyeurisme et ce que Bacon taisait n’est pas révélé ici dans un vulgaire étalage d’épisodes plus ou moins dépravés. On évite également les digressions stériles sur le moindre événement anodin de l’enfance ou de l’adolescence (tendance agaçante de certaines biographies selon moi) : on a donc plus droit à un tableau impressionniste de la vie « non artistique » qu’à une véritable radiographie.
Toute l’ambiguïté (nombreux auto portraits, fascination pour le morbide et les images de tyrans), la complexité (un athée qui avait une prédilection pour les crucifixions, les triptyques et les portraits de papes, son art pleinement ancré et pensé dans la modernité mais qui trouve ses bases dans le XVIIè s) et le talent fougueux du personnage sont évoqués avec tendresse, clarté et pertinence et laissent à penser qu’on a bel et bien affaire à l’un des grands du siècle dernier qui aura pratiqué les vices (et la vie) avec excès et élégance.

Dans sa préface aux entretiens de Bacon avec Michel Archimbaud, Kundera constatait avec satisfaction que le discours du peintre était celui non pas d’un professeur d’université mais d’un artiste et en ce sens plus éclairant qu’un propos savant. Ecueil que Michel Peppiatt a heureusement su lui aussi éviter dans cet ouvrage que je conseille vivement.

Un bon site pour découvrir l’œuvre http://www.francis-bacon.cx/

Michel Peppiatt : Bacon
Flammarion, Grandes Biographies

Chroniqueur

Darkantisthène

Il est né, il a chroniqué, il est mort, aurait pu dire Heidegger si... j'étais mort, si Heidegger était vivant et s'il s'était intéressé à ma prose autant qu'à celle d'Aristote. Et il n'aurait pas été à une connerie près le père Martin parce qu'avant de chroniquer, et après être né, figurez-vous que j'ai vécu ; et écouté de la musique.

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