« La ligne noire » de Christophe Grangé

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Soyons francs, on voyait depuis quelques temps déjà la production de Christophe Grangé décliner assez régulièrement, sans que l’on puisse prédire qu’il publierait lui aussi un jour un navet parfait. C’est désormais chose faite avec La ligne noire qui consacre une certaine persévérance de l’auteur sur le chemin de médiocrité. Tout n’avait pourtant pas si mal commencé, Les rivières pourpres étaient pourtant à l’époque une bonne transposition française des thrillers américains, mêlant ce qu’il faut d’hémoglobine, de violence et de mysticisme glauque pour finalement séduire, avant que la suite de la production ne régresse inexorablement pour aboutir à ce chef d’œuvre. 

Avec courage, Christophe Grangé fait de son œuvre une collection de lieux communs et de stéréotypes à rendre jaloux un auteur de romans de gare. L’action se déroule en Asie du Sud-est, entraînant son lot de clichés inévitables: l’exotisme, la moiteur, la sueur qui vous colle la chemise au corps, mélange scabreux d’orientalisme kitsch et de sensualité un brin désuète, sans compter sur le  rapide mais traditionnel couplet sur les prostituées. Le portrait du héros, Marc, n’échappe pas à la règle : c’est un journaliste véreux, un gros dur au passé ténébreux, évidemment fauché (la charte du bon roman stipule que le journaliste/détective doit avoir un découvert sur son compte épargne Ecureuil), qui boit expresso sur expresso qu’il apprécie naturellement en connaisseur chevronné – on ne l’imaginerait pas boire du décaféiné en granules avant de se saouler à la Buckler. Ces formalités remplies, l’aventure peut donc commencer lorsque notre journaliste décide de se lancer sur la trace des crimes d’un serial killer libidineux.

On sombre alors dans un délire mystique absolument grotesque, parce que, d’abord, notre serial killer n’a rien à voir avec un Emile Louis de quartier : c’est un champion d’apnée en pleine crise religieuse qui a trop lu le Da Vinci Code. Guidé à distance par le tueur qui l’initie à ses rites, Marc, au passé ténébreux – je le répète, mais c’est important-, redécouvre et interprète les différentes mises en scène des meurtres. A ce niveau, l’intrigue, un thriller banal au possible, devient un festival d’expressions grandiloquentes (Chambre de Pureté, Chemin de Vie, Jalons d’Eternité –majuscules indispensables- afin de décrire les différentes étapes des cérémonies), servies dans une macédoine culturelle, philosophique et ésotérique empruntant autant à la Bible pour les nuls et au Guide du Routard qu’à la Vie de Bernadette Soubirou, saturée de références vaines et de métaphores symboliques cousues de fil blanc.

Le style lui-même semble avoir rencontré un serial killer, Christophe Grangé se voyant même dramaturge, plaquant ses effets d’écriture sans recul ni finesse, notamment lorsqu’il utilise au bas mot quinze fois par page des renvois à la ligne emphatiques, horreur, surprise, effroi, -qu’est-ce qu’on mange ce soir? :
 « Il existe quelque part, en Asie du Sud-est, entre le tropique du Cancer et la ligne de l’équateur, une autre ligne.
Une ligne noire jalonnée de corps et d’effroi » (à lire avec une voix grave et solennelle).

Par charité chrétienne, nous passerons sur le dénouement qui a au moins le mérite d’être un peu surprenant pour qui a lu le livre en diagonale (il avait vraiment un passé trop ténébreux ce journaliste…), mais c’est avec la désagréable impression d’avoir été pris pour un imbécile que l’on referme ce livre, quelque peu déçu de voir un bon écrivain se commettre dans l’écriture systématique et mécanique, sans doute beaucoup plus facile et rentable, de thrillers médiocres.

Chroniqueur

marc

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