“Le superflu n’est inutile qu’à ceux dont le nécessaire est suffisant”, disait Pierre Desproges. Et puis on découvre encore un nouveau groupe et les résolutions volent en éclat. Un groupe comme RotoR par exemple, qui vient nous rappeler que ce n’est pas parce qu’on a fait trois fois le tour d’un style que la circonférence du parcours ne peut pas s’allonger un peu, d’une quarantaine de minutes à tout hasard.
Sévissant à Berlin, Germanie, ce sémillant trio a intitulé son troisième album 3. C’est donc sous le signe de la trinité – en l’occurence groove, lourdeur et gueules enfumées – que le disque ouvre son cœur aux amateurs de stoner vintage et électrisant. Et instrumental, le groupe ayant opté pour la première fois pour une musique aphone. Un choix gagnant tant on ne se prend pas une seule fois à regretter l’absence de chant, le ressort mélodique de l’écriture occupant à merveille l’espace vacant. C’est d’ailleurs une assez belle prouesse de la part des trois compères que de rendre aussi sautillantes des compos au chassis délibérément rabaissé au plus près de la chaussée, avec une amplification étonnament amortie et des basses qu’on jurerait coincées dans l’intestin d’un diplodocus. Le son demande accoutumance, donc, sans être en aucune façon défaillant. Cloisonné, rugueux, taillé au burin dans une couille de granite, un peu Melvins en somme, il est à l’antithèse des escapades racées aux quatre vents d’un Karma to Burn, auprès de qui on ira pourtant chercher une proximité qui tient de l’évidence malgré une approche bien moins riffée.
3 propose une mise en jambes des plus athlétiques avec un “Auf’s Maul” rudement bien nommé (“dans la gueule” en Molière) qui saupoudre en trois minutes chrono une nuée d’uppercuts binaires, séparant bien les blancs des jaunes, ou les basses pisseuses en rafales de leurs réponses dans l’octave supérieure. On monte dans l’ambition et la durée avec “V’ger” qui laisse le soliste placer quelques gammes expéditives sur fond de percussions tentées – de loin quand même – par les mécaniques graduelles du jazz. Avant de s’arrêter sur un morceau éponyme qui n’a pas volé de l’être, cristallisant très bien ce que le groupe fait finalement de mieux en matière de variété rythmique et d’enchaînements archi-cohérents de courtes sections. On retrouve ainsi le plus souvent un sas rythmique discipliné et nerveux, ouvrant sur une déclinaison plus soft du thème, avec une guitare free-style qui n’est pas sans rappeler Colour Haze, juste histoire de ne pas chercher plus loin…
Le reste de l’album est dans la même veine, à quelques incartades près. RotoR se paie ici le luxe d’un final gipsy tout en verdure et arpèges marins (“3”), là l’ambiance fin de nuit désœuvrée dans une back-room aux sièges de velours tâché par l’alcool et autres projections (“Umkehrschub”), ou encore la nostalgie assumée d’un “Klar Schiff” saoûlé de cymbales et d’allers-retours syncopés plus wah-wah qu’un rottweiler épris du chat des voisins. C’est un album qui, de par sa bougeotte et le parti pris foncièrement positif de ses mélodies, passe très vite, et file parfois entre les neurones, c’est vrai. De fait peu de riffs collent à l’esprit mais c’est voulu : il y a peu de riffs à proprement parler, tout n’est que transition et translation. Ce serait mentir que de parler de musique profonde et pénétrante, mais ce serait injuste d’en faire un reproche. 3 est avant tout une expérience audio jubilatoire, la rencontre d’un stoner pur-jus, délicieusement entartré, et de touches progressives au service du flow, le tout porté par un trio d’instrumentistes en tout point brillants. A connaître, vraiment!
- auf’s maul
- v’ger
- 3
- hart am wind
- umkehrschub
- drehstrom
- klar schiff
- nordend
- kaltstart
- transporter