C’est sans doute un hasard malicieux qui a voulu ça, mais il se trouve que la pièce d’ouverture de cet album, “Yearning the Seeds of a new Dimension”, est vraisemblablement la meilleure entrée en matière qui soit pour faire connaissance avec l’univers tortueux et sombrement poétique de la troupe de Kristiansand. C’est tout d’abord un cortège de sons sidéraux et réverbérés que l’on croit tout droit échappés de Blade Runner ou de tout autre vision dark-kitsch du genre. Plus de trois minutes de lourde incertitude bardée d’aigus inaccessibles en cascade, l’initiative était déjà plutôt gonflée à une époque où le terme “avant-garde” ne s’appliquait au metal que pour les groupes baptisés Gardd, et ou un label comme Misanthropy trônait au beau milieu d’une seconde vague black metal qui n’avait pas (encore) amorcé la phase descendante de son ellipse de plénitude. Puis l’ambiance se délie, et on accueille la véritable intro du morceau, une crème d’entame atmosphérique au synthé, ponctuée d’un tranquille filigrane de caisse claire. Un premier frisson et l’on sent déjà l’appel d’air qui nous aspire dans un univers de fjords bleu opale et de forêts encaissées dans des vallées de glace.
In The Woods… jouent une musique où l’harmonie des rencontres tient un rôle dominant. Celle avec les hommes est un bonheur, le synthé se découvre pour laisser s’avancer une guitare aussi piquante que généreuse, quelqu’un lance sa voix, pleine de gravité, et chante avec respect la beauté de ce qui l’entoure, un éclat qui apparaît comme assoupi sous des siècles de givre. Alors seulement la Nature durcit ses traits, on accélère progressivement sans se détourner du fil thématique du morceau, d’ailleurs les vocaux restent un temps déclamés au lent débit d’origine. Une brèche, un silence pesant relevé par les appels étouffés d’une guitare solitaire, c’est certain le temps est à l’orage, celui qui ne tarde pas à exploser en gerbes de feu sous l’autorité d’un chant black proprement possédé – à mettre en parallèle, pour donner un point d’ancrage, avec celui de Cornelius de Solefald. Le metal d’In The Woods… produit un effet de violence saisissant, mais violent il ne l’est pas intrinsèquement, car ni les tempos ni la densité riffique ne s’aventurent dans le champ du déraisonnable. Le chant clair refait une apparition remarquée dans la dernière minute. Plus emphatique et sûr de lui, il accompagne jusqu’au final calme et dépouillé.
Le successeur, l’éponyme “HEart of the Ages”, croque d’entrée dans une veine plus péchue, et au bout du compte amène la confirmation qu’In The Woods… ne se bornent pas à des structures symétriques. Les morceaux semblent schizophréniques mais évoluent selon une logique implacable qui veut que les accélérations abruptes prennent leur source dans le silence et la contemplation alors que les parties plus planantes et moins cadencées naissent du remous nerveux des guitares. Ce que l’on peut résumer sous le nom de “fluidité”. “… In The Woods”, le pilier central de l’album, est symptomatique de ce refus de suivre une ligne totalitaire. Le riff post-ouverture détermine sans préavis la couleur amère et tendue du morceau, ne faisant que se tuméfier au fil des secondes jusqu’à la fracture violente qui ouvre sur la sauvagerie des hurlements. Curieusement cette partie très rugueuse est une des plus entraînantes de l’album, rythmiquement parlant. Les cordes vibrent comme jamais, bien que droites et inflexibles dans les mélodies laconiques qui leur sont assignées. La partie doom qui s’ensuit, aux vocaux clairs plus appuyés que de raison comme pour dissimuler un trouble, n’est pas tant une accalmie que le contrecoup encore cruel de ce tonnerre, sa lourdeur mégalithique remémorant les guitares malades d’un Bethlehem sur Dictius Te Necare. On passe au céleste “Mourning The Death Of Aase”, un hommage au compositeur norvégien Edvard Grieg. Sans essayer d’émuler la musique de ce dernier, In The Woods… livrent leur interprétation honnête et émouvante d’une musique évoquant le silence et l’appel des racines. C’est aussi l’occasion pour la belle Synne Larsen, qui sera de biens d’autres voyages, de déployer l’étendue – et l’extravagance – de son spectre vocal. Entre parenthèses la seconde interprétation du morceau, présente sur l’album Three Times Seven on a Pilgrimage, est purement hallucinante de ce point de vue.
Après un quart d’heure éprouvant d’un “Wotan’s Return” généreux en cris épileptiques et passages noueux parmi les plus glauques de l’album, c’est presque avec soulagement que l’on s’abandonne à “Pigeon”. Lequel, du haut de ses trois minutes, est un instrumental à couper le souffle, mêlant des arpèges de cristal au clavier à un thème au piano d’une intensité bouleversante. Un choix recommandable pour des funérailles bien arrosées. Inutile d’épiloguer sur la dernière chanson qui d’une certaine façon, malgré des vocaux décidément de plus en plus possédés, préfigure l’orientation froide, lyrique et sobre de l’album Omnio, chef d’œuvre d’entre les chefs d’œuvres. In The Woods… ne sont plus, mais leur répertoire n’a pas pris une ride et reste une découverte incontournable pour toutes les générations de musicophages affamés de beauté et de sens.
- yearning the seeds of a new dimension
- heart of the ages
- …in the woods
- mourning the death of aase
- wotan’s return
- pigeon
- the divinity of wisdom
doux jésus que j’ai eu du mal à m’y faire à cet album ; il faut dire que mes écoutes de l’époque étaient totalement éloignées de ce style et que le terme avant-garde n’a jamais reçu dans mon esprit un écho favorable. Tant pis j’ai fait mon foufou et je l’ai acheté. Et je l’ai laissé tomber ; plusieurs années même. Et un jour de maturité, j’ai retesté et là, quasi choc. L’extrême pouvait confiner au sublime. On est réellement transporté par la musique d’In the woods. Album majeur qu’il convient d’appréhender avec circonspection.
Réécouté hier suite à la chro. Effectivement c’est un très bel album, même si je reste toujours sur mon Omnio en ce qui concerne le sommet de leur carrière.
Magnifique album que la kro met véritablement bien en valeur.Que ceux qui ne connaissent pas le groupe où l’album lisent et écoutent l’album.
En revanche, comme Joss, l’album référence d’In The Woods pour moi reste Omnio.
Belle initiative de rendre hommage à cet album et à ce groupe néanmoins.
Merci.
Le meilleur In the Woods… c’est celui-là! Bien au dessus du malgré tout génial Omnio ;) On ne s’en lasse jamais. En tout cas la chronique décrit bien cet album. Un groupe qui a bien sa plasse dans la rubrique antologik.
Cet album avait été une révélation pour moi à l’époque. Ce soir, après le taf, je me l’envoie avec joie!!!
Une tuerie cet album!! Magnifique, grandiose, énorme!! Tout comme ce groupe que je porte aux nues depuis que je l’ai découvert!!
Néanmoins je suis inconditionnel du second album dont les structures tortueuses,sombres et mélodiques me font tripper à chaque fois!!
Du grand art!