Joss :
Oubliez tout ce que vous savez sur Enslaved. Après tout, les fans de la première heure ont eu droit eux aussi à leur surprise à l’heure de la sortie de Monumension, album charnière de la disco des norvégiens, qui leur a fait perdre des fans mais gagner d’autres en échanges. Enslaved venait d’abandonner son black à tendance Viking pour une musique bien plus progressive et expérimentale. Il s’ensuivra trois albums dans cette lignée dont le dernier en date, Ruun, qui partageât tout de même le public récemment acquis à sa cause.
Avec ce Vertebrae, il semblerait qu’Enslaved souhaite s’écarter encore d’avantage de ses racines nordiques pour lorgner d’avantage vers le rock progressif. Et par la même occasion provoquer un nouveau roulement du côté des fans. Car nul doute qu’il va y avoir des déçus.
Il faut dire qu’après la première écoute un sentiment d’incompréhension nous envahit. Mais où veulent-ils en venir ? Aucun titre ne se détache vraiment du lot, quelques séquences nous font dresser l’oreille mais au final c’est limite comme si l’on avait rien écouté. Pour le moins déroutant. Est-ce vraiment le même groupe qui avait pondu les gigantesques « The dead stare » ou « Neogenesis » (ça y est je suis découvert quant à la période d’Enslaved dont je suis fan) ?
Alors on se dit que l’album recèle certainement bon nombre de richesses cachées et que des écoutes répétées vont nous aider à les débusquer. Il n’en sera rien. Enfin pas tout à fait. Certains passages qui avaient fait dresser l’oreille au départ confirment leur excellence, je pense notamment aux soli de « Ground » ou « Reflexion », ou certaines ambiances inquiétantes comme sur « Center ». Mais c’est bien trop peu. Aujourd’hui les voix hurlées semblent totalement décalées et hors de propos dans la nouvelle orientation d’Enslaved. De plus, les rythmiques métal sont bien faiblardes par rapport à ce que le groupe a pu proposer jusque-là. Un titre comme « New Dawn » qui se veut à priori agressif ne suscite peu d’intérêt et s’avère aussi excitant qu’un régime végétarien sans sel. Même les chœurs et voix claires semblent totalement dénués de passion. On sent que Enslaved a envie d’évoluer et se rapprocher d’un métal progressif sombre qui lorgne vers les 70’s mais beaucoup d’idées ne semblent pas exploitées au mieux et poussées à leur maximum. Au final il ne se passe pas grand chose le long des 50 minutes de ce Vertebrae.
Les Norvégiens semblent maintenant le cul entre deux chaises, pris entre l’envie d’aller de l’avant et la peur d’abandonner à jamais le genre qu’ils ont pratiqué jusque-là. On leur conseillerait bien de faire le grand saut.
Note Joss : 12,5/20
Krakoukass :
Ah mais pas d’accord du tout cher collègue ! Pas d’accord mais en même temps je comprends parfaitement cette réaction de rejet, puisque j’ai eu exactement la même à la première écoute. J’étais même tellement écœuré sur le coup, que j’avais décidé de ne plus écouter l’album. Il faut dire que l’album débute avec une rythmique aux sonorités étranges, presque électroniques, qui a le don d’annoncer clairement la couleur : oui toi auditeur et amateur d’Enslaved, attends-toi à être dérouté. J’ai donc été dérouté en beauté à la première approche.
Et puis allez savoir pourquoi j’ai eu envie de le repasser histoire de valider ce premier sentiment. Et je ne l’ai pas validé du tout, bien au contraire puisque je pense à peu près tout le contraire désormais. Je fais donc amende honorable aujourd’hui et s’il y a bien une leçon à retenir de ça, c’est qu’il ne faut jamais juger un album sur une seule écoute. On ne m’y reprendra donc pas (en tout cas jusqu’à la prochaine fois) !
Il est donc évident qu’Enslaved continue à évoluer, et Vertebrae représente certainement une étape bien plus décisive dans cette évolution que le précédent album, Ruun, qui restait encore finalement très ancré dans la lignée du superbe Isa. Là pour le coup, on s’éloigne encore davantage du black metal, même si une légère trace subsiste dans les vocaux rapeux et dégueulés de Grutle. Et justement loin de penser que ces vocaux sont désormais inadaptés à la musique que pratique le groupe comme semble le penser mon illustre collègue, je pense au contraire que c’est cette dualité et ce mélange qui font la force de titres comme « Reflection », « Clouds » ou encore du superbe « Ground », même s’il est évident et qu’il saute aux oreilles que les chœurs (lancinants dans un esprit progressif) et les voix claires occupent aujourd’hui une place presque aussi importante (voir « Center » par exemple ).
Là où je rejoins par contre l’ami Joss, c’est sur le caractère inutile de « New Dawn » qui sonne un peu comme le chant du cygne du black pour Enslaved, comme une ultime et vaine tentative de ne pas voir partir les vieux fans des premières périodes du groupe et de leur donner quelque chose qui pourrait apaiser leur déception. Mais je le dis clairement, on s’en fout de leur déception, et ne leur en déplaise je souhaite de tout mon cœur qu’Enslaved choisisse de pousser aussi loin qu’ils le veulent leur volonté d’expérimentation et de changement. Tant pis pour les nostalgiques qui se repasseront en boucle les premiers albums. On peut aussi apprécier l’évolution du groupe et apprécier du même coup les différentes périodes pour ce qu’elles valent à chaque fois. Bref « New Dawn » est certainement pour moi le seul morceau décevant de cet album.
Il est vrai aussi que Vertebrae est certainement l’album le moins métal du groupe, jusque dans le son et le mix, plus secs, très clairs, qu’on doit d’ailleurs à Joe Baresi et George Marino qui ne sont pas connus que pour avoir travaillé avec des groupes de métal… Mais cette nouvelle approche est une fois de plus conforme à l’orientation éminemment progressive qui domine désormais complètement le propos du groupe norvégien. Et cette orientation qui place désormais la mélodie au cœur du scénario, me fait succomber sans retenue devant les délicates (délicates mais jamais niaises) mélopées développées par le groupe, qui émeuvent mon cœur de viking sans barbe et sans cheveux.
Vertebrae est un bien beau disque, qui transporte et fait voyager, non pas comme auparavant vers des terres et des contextes guerriers, mais plutôt cette fois dans des contrées certes sauvages, un peu inquiétantes, mais dépourvues (ou presque) de violence, avec au contraire la mise en avant de sentiments de sérénité et d’apaisement qui sont sans doute plus que jamais le signe d’une sagesse gagnée à la force de l’expérience et de l’âge…
En clair et sans décodeur, j’adhère, et pas qu’un peu !
Note Krakoukass : 17/20
- clouds
- to the coast
- ground
- vertebrae
- new dawn
- reflection
- center
- the watcher
Rejet total au début puis kiffage progressif au fil des écoutes. Un bon gout de chamallow cet album.
pour faire court : « chiant » :-)
Je ne m’étais pas trop mis dedans et ça prend bien, j’aime définitivement l’approche de ce groupe. « New Dawn » est effectivement moyenne mais commence à être un très bon titre dès sa moitié.
Album très particulier pour l’auditeur, le fan ou l’a discographie du groupe.
A la première écoute, j’ai été mise à l’épreuve (car les mélodies sont encore plus aériennes que dans Ruun par exemple), à la seconde et depuis, je suis fasciné. Juste un très grand album.
Et concernant le morceau « New Dawn », j’ai plutôt eu l’impression que dans le concept de l’album très lumineux, ce morceau joue le même rôle d’une chanson calme qui intervient au milieu d’un album très violent musicalement . Dans ce cas là, c’est une chanson très sombre (qui finit lumineusement d’ailleurs) pour noircir toute cette pureté.