Il en va de certains albums comme des grands engagements d’une vie. Revenir vers eux ne nous arrête pas à l’évocation d’une époque et d’un contexte, mais plus loin, nous plonge, comme plongent des racines inusables, au cœur de ce que nous sommes, dissolvant dans les enzymes du temps nos origines et nos choix. La spécificité de la musique, c’est que ces grands jalons de conscience sont des affaires collectives. Pour quiconque a vu le jour, disons dans les années 70, Souls at Zero n’a pu être que la pierre d’achoppement, sur laquelle sont venues buter les certitudes tatouées sur nos corps d’éphèbes par une décennie de punk, de thrash et de NYHC. Plus que tout autre album de son époque, Souls at Zero est ce qui nous a rendus adultes face à la musique et à ce qu’elle peut imprimer de substantifique chez un jeune con en quête de réponses. Aussi peu importe que certaines productions ultérieures de Neurosis s’accommodent plus objectivement du titre d’« anthologiques » à travers leurs mérites musicaux, c’est bien avec ce disque liminaire et sa pochette prophétique – inspirée du chef d’œuvre de Robin Hardy The Wicker Man – que tout a changé.
Beaucoup d’albums un peu anciens, et à plus forte raison celui-ci, nous reviennent en mémoire plus qu’ils n’animent nos oreilles. Des albums fossiles quoi, de vieilles pellicules de guerre. Neurosis inventaient ici le hardcore grand angle. L’insolente copulation entre l’énergie désespérée du malade incurable et la fièvre symbolique du schizophrène. Comme tout ce qui prend naissance dans le vide, Souls at Zero échappe à toute définition par l’empirique. En forçant le trait, on le décrira comme un hybride sacrilège à la Jérôme Bosch, réunissant metal, noise et doom, portée au rouge par l’urgence de riffs borderline, et intégrant un maximum de verticalité et de profondeur dans le travail du rythme, qu’on qualifiera volontiers de tribal. Bref, sans s’embarrasser de descriptions inutiles, une musique dont le propos est tout à la fois de mettre en garde l’auditeur contre ce qui l’attend au pas de sa porte, et de le ligoter émotionnellement et mentalement, pour toujours. Architectes de ce songe de sueur et d’acier, les faux jumeaux Scott Kelly et Steve Von Till reviennent inlassablement vomir leurs hallalis dans le vortex suffocant de morceaux-épitaphes comme “To Crawl under one’s Skin”, “Flight” ou “The Web”, ou dans le final scarificateur de “Sterile Vision” au son des trompettes de Jericho, et à chacun de leurs cris c’est une cicatrice enfouie qui éclate. Soulignons le rôle joué dans la calcification de cette ambiance hallucinée par un éventail de samples aussi discrets que judicieux (films, diffusions radio, bruitages…), et surtout par ce diable de violoncelle qui, dans les mains vicieuses de Kris Force, dessine au paysage des virgules tantôt éthérées, tantôt horriblement lancinantes. On retrouvera sa science du contre-emploi dans un autre contexte, sur les excellents albums d’Amber Asylum.
Voir dans l’œil du cyclone la gloire des uns et la folie des autres, et tout renverser le lendemain. C’est bien nous-mêmes que nous allons chercher dans des albums pareils. Nous y atteignons ce que nous étions et contemplons avec mélancolie ce que nous allions devenir. Finalement fiers de n’avoir jamais quitté la route tracée pour nous par Neurosis, plus qu’un groupe gigantesque, un fanal dans le désert.
- to crawl under one’s skin
- souls at zero
- zero
- flight
- the web
- sterile vision
- a chronology for survival
- stripped
- takeahnase
- empty
Merci, car grâce à ta chronique j’ai enfin découvert un album de Neurosis que je trouve énorme, les productions plus récentes m’ayant toujours laissé de marbre. J’apprécie particulièrement les vocaux hardcore, qui n’auront plus droit de cité à l’avenir (départ du vocaliste si je me ne trompe pas)…
J’adore cet album de Neurosis! De loin mon préféré de leur discographie. Surement pour sa richesse et son côté « schizo ». Le titre éponyme et « a chronologie for survival » sont pour moi les plus prenant. Album incontournable!
Premier « véritable » album de Neurosis et les bases de tout le mouvement post-machin à suivre y sont entièrement définies. Aussi le premier d’une trilogie exemplaire et pour moi peut-être la meilleure (Souls At Zero, Enemy Of The Sun, Through Silver In Blood). Pas de départ de chanteur, les vocaux « hardcore » sont toujours exécutés par Steve Von Till et Scott Kelly, il y a juste Dave Edwardson qui a (malheureusement) abandonné les growls à partir de Times Of Grace.
Times Of Grace restera toujours le sommet à mes yeux !!!
Times of Grace est aussi un grand album, surtout écouté avec le Grace de Tribes of Neurot ;)
J’ai pas encore tenté l’expérience, mais je vais rapidement songer à le faire ! Pour en revenir à Neurosis, tous leurs disques sont grands à l’exception du p’tit dernier qui est juste excellent !!! Impossible de proclamer que tel ou tel album est meilleur ou plus abouti; à l’instar de Fugazi par exemple. Toute leur oeuvre est un monument de métal subversif !
Pour moi, cet album est un peu moins bon que The enemy of the sun mais il reste excellent!
THE album du groupe, c’est The eye of every storm pour moi avec la magnifique chanson du même nom…
Scandaleux d’insulter un tel album avec un chro aussi pompeuse qui ne parle quasiment pas de la musique en elle-même, qui ne dit rien des plans complexes et des morceaux à rallonge, de toute la rage qui anime cet album, de ces arrangements d’instruments qui ont créé le post-hardcore, de ces chants hallucinés sur « Crawl under one’s skin », de ces riffs inspirés et pourtant mélodieux, de ces hésitations instrumentales qui sont un peu le charme et le défaut de ce disque (la répétition maladroite « souls at zero » « zero »), du morceau Takeahnase totalement étrange, dissonant et pourtant mélancolique, rare chez les californiens, etc… Au lieu de ça on a du pédant jusqu’à en vomir avec des expression qui ne veulent rien dire (dissoudre dans des enzymes… n’importe quoi). Cessez de vous la péter avec une prose imbranlable et faites comme Neurosis sur cet album : exprimez-vous simplement mais efficacement.
Souls At zero, à la fois le plus intéressant de leurs albums, car riche, et un des plus crus et difficile à approcher. Rien que pour ses 20 premières minutes, il est incontournable. Il marque à peu près toutes les étapes que Neurosis franchira par la suite, et développera plus en détail. magique !
z’est un zgandale !
nickelle ta chro B.
Moi je ne sais pas écrire, je me force pour écrire des chroniques que personne ne lit jamais. :(
J’imagine qu’à l’époque de Souls at zero le groupe devait passer pour un ovni… Un des albums de neurosis que j’apprécie le plus et c’est peut être grâce cette prod métal. Je trouve cet album très facile d’accès, le riff de souls at zero est massif, les samples et les claviers sont utilisés de façon judicieuses… Je sais qu’ils avaient bossé le mix avec jello biafra. Ils ont eu raison car Souls at zero est un album qui n’a pas trop mal vieilli et qui est surtout pour Neurosis l’occasion d’évoluer et d’expérimenter d’autres sonorités avec son univers métal…
Quel album quand même. Ancré dans les 90s, mais précurseur de toute la vague post-hardcore qui ne viendra que 10 ans après. « Stripped » est vraiment excellent :