Ils m’avaient bien perdu les américains de Denver, avec leur précédente sortie parue en 2022, 3 ans après le monstrueux Hidden History of the Human Race. Timewave Zero, présenté comme un EP, les voyait en effet prendre tout le monde à contre-pied en sortant un pur album d’ambient, hommage assumé aux pointures de l’école berlinoise de la musique électronique des années 70, Tangerine Dream et Klaus Schulze en tête. Une demie surprise seulement en réalité, puisqu’on connaissait l’amour du quatuor pour cette forme particulière de musique, qu’ils avaient déjà commencé à intégrer par touches sur Hidden, mais une demie surprise quand même, car il fallait oser passer de l’album de 2022, à juste titre encore étiqueté « death metal », à un disque qui n’en contenait plus la moindre trace.
Et pour être clair, Timewave Zero (et toute la musique de ce même genre), représente pour moi l’incarnation des albums qui ne peuvent servir qu’à une seule chose : s’endormir. Aucune chance que j’en vienne à écouter un tel album en pleine journée, et aucune chance également que j’en fasse l’acquisition. Autant, l’envie du groupe de faire ce qui lui plaît était louable, autant on peut quand même se demander s’il n’eut pas été plus clair, et moins perturbant, de sortir cet album sous un autre nom et d’en faire un side-project réservé aux amateurs du genre. Toujours est-il qu’avant la sortie de Absolute Elsewhere, le groupe continuait à entretenir le doute sur ses intentions pour la suite, en sortant Luminescent Bridge, un EP digital (maintenant disponible en CD sur l’édition limitée mediabook de Absolute Elsewhere) qui contenait deux titres : un titre de death metal (« Obiquity of the Ecliptic »), dans l’esprit de Hidden, et le morceau-titre, dans le même registre que Timewave Zero.
Autant dire que sachant que le groupe avait enregistré cet Absolute Elsewhere à Berlin au Hansa Studio (où ont été enregistrés nombre d’albums considérés de groupes majeurs, qu’il s’agisse de Bowie, Iggy Pop, Killing Joke ou encore Depeche Mode), en particulier motivé par les traces laissées par la légende Tangerine Dream, je m’attendais un peu au pire (c’est-à-dire à une orientation qui poursuive dans cette veine chiantissime -appelons un chat un chat-) tout en espérant que Luminescent Bridge soit tout de même aussi une façon pour le groupe de rassurer sur le fait qu’il n’avait pas projeté d’abandonner complètement le death metal.
La réponse à toutes ces interrogations/inquiétudes est tombée le 4 octobre (enfin pour être honnête quelques jours avant, l’album ayant leaké en effet un peu avant), jour de la sortie officielle de l’album.
Et quelle réponse!
Les doutes, les inquiétudes, se sont envolées en l’espace d’une écoute, tant Absolute Elsewhere se révèle être un voyage immédiatement aussi impactant que marquant au cours duquel les américains présentent le meilleur de toutes les facettes de leurs influences. Rarement a-t-on en effet vu un groupe marier avec autant de brio, tant de styles, influences, pour en faire quelque chose qui coule de façon si unique, immersive et fluide.
Leur death metal qu’on connaît va bien faire partie de la palette de couleurs peinte ici au travers des 2 titres fleuves proposés sur l’album. Oui uniquement deux titres, mais de plus de 20 minutes chacun, subdivisés en 3 parties (tablettes) qui représentent bien les différents mouvements par lesquels passent les morceaux, qui vont être l’occasion d’identifier inévitablement les références assumées et audibles, avec pour commencer sur « The Stargate » la participation de Thorsten Quaeschning (Tangerine Dream). Mais avant d’en arriver là, le morceau commence (« Tablet I ») bien comme un pur morceau de death metal, il se métamorphose pour la première fois avec un break dub/cosmique qui arrive à 2 minutes, avant de laisser la place aux synthés 70’s pour un passage planant particulièrement envoutant, d’autant plus que les claviers sont un peu plus loin rejoints par la guitare électrique, avec un superbe solo qui débouche sur un nouveau passage bien énervé de death metal et même quelques parties de guitare qui m’ont évoqué Mastodon. Et on en est seulement à 8 minutes écoulées, incroyablement variées et dont l’enchaînement est admirable de cohérence. Le début de la deuxième partie (« Tablet II ») particulièrement planant avec ces spoken words en fond sonore, est bien à mettre au crédit de Quaeschning et fait office de respiration pendant 2 minutes 40 avant d’enchaîner sur un passage folk champêtre pouvant évoquer du old Opeth. On retrouve tout au long du titre les interventions judicieuses des synthé ou melotron de Nicklas Malmqvist (du groupe Hällas) tandis que le groupe nous amène à la conclusion de ce premier énorme titre, non sans passer par un passage captivant aux tonalités orientales accompagnées de percussions incroyables. La force du groupe et son intelligence à ne pas faire durer les passages iconoclastes, sont pour beaucoup dans le fait qu’on se laisse facilement emporter et qu’on a jamais le temps de se lasser d’un de ces passages surprenants, puisqu’on est très vite repris en main et remis dans le wagon par le groupe et ses assauts death quitte à passer (le début de « Tablet III ») par des passages dissonnants et plus lourds qui pourront évoquer notamment les monstrueux Dead Congregation.
Le deuxième morceau nous balade également avec un ravissement des tous les instants et je ne vais pas me lancer dans un nouveau descriptif aussi précis de tout ce que vous y entendrez, mais je me contenterai de mentionner que l’influence majeure dans la partie « iconoclaste » de « The Stargate » ne sera cette fois pas Tangerine Dream mais bien Pink Floyd avec un passage (à 1m50 sur « Tablet II ») qui ne pourra pas ne pas évoquer les années 70s de la bande à Waters à tous ceux qui les connaissent un minimum (je suis loin de maîtriser le répertoire des anglais mais même à mes oreilles cela sonne comme une évidence). Cela pourrait sonner comme du plagiat, mais c’est tellement bien fait et intelligement incrusté entre deux déflagrations de death metal féroce, qu’on ne peut que s’agenouiller devant une telle démonstration de maîtrise et de talent. Vocalement Paul Riedl se montre incroyable, tant dans ces passages en voix claire que dans les déflagrations death pour lesquelles il est parfois secondé par un invité en la présence de Malte Gericke (Sijjin, ex-Necros Christos) qui vient ajouter son timbre monstrueux pour maximiser les contrastes avec les passages apaisés.
Et que dire du final de ce deuxième titre, et de l’album donc, et son climax monumental…
Au terme des 43 minutes que dure l’album, on est forcé de constater que Blood Incantation a réussi avec le concours de Arthur Rizk (qu’on connaît en tant que leader des groupes Sumerlands, ou Eternal Champion) à la production, à accoucher d’une oeuvre rare, un album parfait de la première à la dernière note, un véritable chef d’oeuvre dont il est probable qu’il soit amené à faire date dans le death metal et même le metal tout court.
Une telle oeuvre méritait un artwork à la hauteur de ses ambitions et là aussi le groupe a réussi à faire un choix brillant en la personne du méconnu Steve R. Dodd (artiste peintre « à l’ancienne » pourtant spécialisé dans la Sci-Fi, coupé des technologies modernes avec lequel le groupe a échangé des courriers qui ont été portés à sa connaissance par la soeur de l’artiste, pour en arriver à ce que cette collaboration – qui a démarré avec Luminescent Bridge pour la pochette duquel une oeuvre prééxistante avait été utilisée, à la différence de la pochet d’Absolute Elsewhere qui a bien été réalisée par l’artiste spécialement pour l’album).
Même Opeth (avec the Last Will and Testament qui débarque dans quelques jours) aura forcément du mal à se mesurer aux américains cette année (rdv le 22 novembre pour confirmer ou pas) et quoi qu’il en soit, à date d’écriture de cette chronique Absolute Elsewhere est bien parti pour s’imposer facilement comme l’album de l’année dans la plupart des tops metal 2024.
Tracklist :
1. The Stargate [Tablet I] 08:20
2. The Stargate [Tablet II] 05:08
3. The Stargate [Tablet III] 06:50
4. The Message [Tablet I] 05:56
5. The Message [Tablet II] 05:58
6. The Message [Tablet III] 11:27