J’enrage, je désespoire, je vieillessennemis ! Je n’ai donc tant vécu (bon 39 balais, ça va, c’est pas non plus… hein) que pour vivre cette infamie ! Celle de rater dès sa sortie ce Thier. Mais que la mort m’épargne jusqu’à ce que j’ai pleinement convaincu jusqu’au dernier d’entre vous du caractère magistral de cet album.Avant de passer à un examen plus détaillé de cette perle, l’autoflagellation doit se prolonger légèrement. Non seulement j’ai failli totalement passer à côté de l’album mais en plus j’avais jusqu’à présent carrément squeezé le groupe. Ce dernier existe depuis 20 ans (!), est composé de membres de Dominion III et Summoning et, accessoirement, d’anciens de Dargaard et Abigor. De là découle une discographie particulière puisque le premier album (un Sun of the suns superbe que je me suis évidemment empressé d’écouter à la suite de ma découverte) ne sort qu’en 2010 après 2 demos, 2 splits et 2 EP.
Inutile de retracer précisément la généalogie d’Amestigon, les groupes susnommés ne font pas partie des références musicales. Pour évoquer ces dernières, j’ai pensé, dans un premier temps, qu’il était plus pertinent de faire une analyse titre par titre ; je ne le fais pas souvent et, avec seulement 4 monuments à encenser, l’exercice n’aurait pas dû être trop laborieux. Mais, emporté par mon engouement et la richesse de Thier, la chronique commençait à prendre une tournure beaucoup trop longue et risquait de vous détourner de l’essentiel : aller écouter l’album encore et encore et rejoindre – inévitablement – la horde de ceux qui le vénèrent.
C’est alors l’hypothèse opposée que j’ai envisagée : 2, 3 termes bien choisis, quelques évocations de groupes et le slogan dévastateur voyait le jour ; ç’aurait donné une truc du genre : imaginez Drukh, Lunar Aurora et My dying bride se réunir pour s’attaquer au style black doom atmosphérique et sortir un album-référence, un album à l’aune duquel d’autres, qui ne manqueront pas de tenter l’aventure par la suite, seront examinés, jugés et – immanquablement – crucifiés. Plutôt alléchant non ? Voire suffisant pour qui connait bien ces références.
Mais il ne faut pas sous-estimer le plaisir égoïste du chroniqueur qui a quand même ce curieux besoin, tel le marin, de faire des phrases. Je poursuis, donc, pour ceux qui souhaitent retarder encore un peu l’échéance.
Dès les premières secondes de « Demiurg », vous allez vous dire que je me suis foutu de votre gueule avec l’appellation générique »black metal ». Le gras et la puissance du son sont plus proches du funeral doom voire du sludge que du raw black ou d’une production suédoise léchée ; de plus, rapidement, des éléments faisant penser à Agalloch viennent joindre le cortège histoire de brouiller un peu plus l’esprit. Mais l’esprit (entendez les sens mis en branle par la musique), lorsqu’il est supérieur comme c’est le cas chez 63% des lecteurs de ce site (résultats en nette hausse, bravo!), se fiche de perdre quelques repaires, d’entendre des chœurs suivis de raclements de gorge 200% haineux, de voir s’enchainer tempi pachydermiques, passages ambient et black épique ; peu lui chaut de ne pas pouvoir ouvrir tout de suite un tiroir pour classifier l’oeuvre, dès lors qu’il est en présence du sublime, qu’une atmosphère profondément tragique, qui sonne comme un prélude à une fin du monde désirée, l’étreint. Et dire que tout ce qui suit est (au moins) du même niveau.
L’introduction de « 358 » me rappelle les sonorités qu’affectionnaient les Norvégiens d’In the woods. Contrairement à son prédécesseur, ce titre nous transporte immédiatement en terrain plus connu, du black atmosphérique et épique digne du Blut Aus nord période Memoria vetusta. Mais vous vous imaginez bien que ça ne va pas durer 10 minutes à ce rythme, il faut bien qu’un mid tempo dévastateur emporté par une basse envoutante laisse la place à un mur de guitares surpuissantes, des arpèges torturés hypnotiques et, une fois encore, des chœurs évoquant des champs dévastés où les dieux des éléments se sont livrés des batailles légendaires.
Et dire que le meilleur reste à venir. Le titre phare, « Thier ». Le travail vocal de Silenius est proprement admirable. Le type a dû passer 3 jours à l’hosto après la session d’enregistrement ; s’il est « habité » tel qu’on l’imagine, le spectacle sur scène doit filer les jetons. Il faut à ce stade saluer la production de l’album, je la trouve impeccablement rugueuse et massive. Ne comptez pas sur Thier pour vous permettre d’écouter un titre en passant, en fond sonore, pendant que vous épluchez les légumes. Thier fait partie de ce oeuvres dans lesquelles on se plonge, qui littéralement nous submergent (il me semble d’ailleurs primordial de faire chauffer le bouton du volume ou d’investir dans un bon casque). A l’instar de « Demiurg », au bout de 5/6 minutes lorgnant du côté d’Elysian Blaze, un black atmosphérique somptueux vient créer en nous comme un sentiment de délivrance. Délivrance de quoi ? du passage ambient qui suit (oui ça défie les lois de la logique mais cet album le mérite), véritable évocation d’un marasme qui aurait pris la forme d’une forêt vietnamienne en plein tournage d’Apocalypse now (la batterie qui refait doucement surface me fait franchement penser à un hélicoptère transportant du napalm). La dernière partie nous achève avec un dark doom déchirant de mélancolie. C’est fou comme 19 minutes peuvent sembler insuffisantes.
« Hochpolung » est le titre le plus noir et le plus homogène. Chose peu rassurante sur mon état mental, c’est celui qui m’a paru le plus apaisant et facile à assimiler. On est en présence d’un superbe mixte de black Krohmien et de dark doom torturé proche de l’album le plus controversé (et pourtant excellent) de My Dying Bride, 34.788%…complete.
J’ai bien conscience que ça n’est peut-être pas le meilleur moyen de convaincre le chaland un peu sur la réserve qui risque d’avoir le sentiment, à la lecture de cette chronique, que cet album part dans plusieurs directions d’autant plus difficiles à appréhender que les titres sont longs. Mais ne commettez surtout pas l’erreur de craindre le mélange des genres en imaginant un salmigondis incohérent et indigeste. C’est tout le contraire, ça coule à merveille de manière fluide, telle une évidence. Sortir un album grandiose semble même simple, à la portée de n’importe quel groupe un tant soit peu passionné.
Malgré cet avertissement, je ne me fais pas d’illusion, cet album ne finira pas sur toutes les étagères car il demande un réel investissement et exige une totale attention de l’auditeur, non pas à cause de sa complexité ou sa densité mais parce qu’il transporte et nous exclut du monde environnant. Tout le monde n’est pas prêt à ça.
Je me réconforte un peu en me disant qu’il y a toujours une certaine satisfaction aristocratique à penser qu’on est peu à savoir distinguer parmi la masse le chef d’œuvre. Car Thier est un chef d’œuvre.
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Tracklist :
01-Demiurg
02-358
03-Thier
04-Hochpolung