Feutré et Sinistre. Voilà comment les américains ont choisi d’intituler ce nouvel album en référence à la lourde ambiance qui a précédé le décès de feu leur manager Nick John en septembre 2018 suite à un combat perdu contre une saloperie de cancer du pancréas. Il s’agit du premier double album de l’histoire des américains, 1 heure et 25 minutes de musique en tout, réparties sur 15 titres. Alors forcément comme avec n’importe quel double album on pourrait prendre peur, craindre qu’il y ait beaucoup de remplissage sur un album aussi volumineux. L’écoute démarre donc avec quelque appréhension mais une appréhension relative simplement parce qu’on parle de Mastodon quand même… Un groupe qui n’a quasiment jamais déçu (j’aurais même finalement tendance à réhabiliter Once More ‘Round the Sun qui était le seul à ne pas avoir réussi à me conquérir jusqu’alors) et dont le dernier album en date Emperor of Sand était juste superbe.
Certains imaginaient du fait du titre de l’album que Hushed et Grim allaient présenter deux faces différentes et que les deux disques auraient potentiellement une approche et peut-être une tonalité différentes, mais il n’en est rien au final. Les 15 titres forment un tout et c’est donc probablement simplement et uniquement parce qu’il était impossible de faire rentrer 1h25 de musique sur un seul disque, qu’on a au final droit à un double album. Et ce qui est particulièrement étonnant et réjouissant c’est à quel point l’album semble évident, et s’imprime très rapidement dès les premières écoutes. Il suffit de quelques écoutes pour le maîtriser et avoir l’impression de le connaître depuis longtemps, sans que cela vienne entacher le moins du monde le plaisir d’écoute.
Comme son nom l’indique l’album est majoritairement calme, mais pas lent, on est plutôt sur du mid-tempo passant régulièrement sur un tempo plus rapide, avec quelques moments bien énervés qui surgissent principalement à 3 moments sur l’album : « The Crux » en début d’album, « Pushing the Tides » au milieu et enfin « Savage Lands » plutôt à la fin. Mais la mélodie et la mélancolie dominent vraiment les propos sur Hushed and Grim et chaque titre semble contenir son refrain imparable, ses mélodies vocales parfaites, bref c’est vraiment un enchantement sur 15 titres du début à la première note, et l’exploit n’est pas mince de réussir à maintenir un tel niveau de qualité sur tout l’album, la plupart des morceaux étant longs (6 dépassant les 6 minutes, un seul se situant sous la barre des 4 minutes – « Pushing the Tides » diffusé il y a déjà plusieurs semaines).
La science des arrangements et de l’instrumentation du groupe n’est plus à démontrer, et ils parviennent sans mal à varier les ambiances, les sonorités pour nous faire voyager (cf ce mellotron sur « Sickle and Peace » et « More than I Could Chew » ou les ambiances orientales sur « Dagger ») et aussi les invités avec au chant sur « More than I Could Chew » Marcus King, un petit gars de 25 ans qui œuvre (avec son Marcus King Band) dans la country/blues et qui est un ami de Hinds. On retrouve aussi le guitariste de feu Soundgarden Kim Thayil sur « Had it All » ou David Witte (batteur de Municipal Waste) sur « Dagger » dont on imagine qu’il apporte sa contribution sur les percussions très en avant sur cet excellent titre et qui lui confèrent une aura quasi shamanique et une ambiance presque indienne du meilleur effet avec notamment un instrument dont le nom ne me revient pas, qui renforce encore cette ambiance appuyée par la suite par un synthé vintage très a propos. Le même synthé vintage qu’on retrouve d’ailleurs plus loin sur « Gobblers of Dregs » qui ferait presque penser à du Giant Squid dans son démarrage. Leur capacité à proposer aussi de multiples rebondissements ou variations dans un seul titre doit également être saluée, à l’instar du break magique de « The Beast » ou de celui de « Gobblers of Dregs ». Et je n’ai pas encore parlé de cette deuxième partie du titre final « Gigantium », tout simplement belle à pleurer de bonheur… On sera bien en peine de reprocher quoi que ce soit aux 4 américains sur le registre de la composition et des arrangements, si ce n’est peut-être d’avoir largement mis le hola sur le tambourin (bien qu’il soit tout de même présent sur « Peace and Tranquility »).
Le chant principal est toujours partagé à peu près à parts égales entre Troy Sanders et Brann Dailor, les moments de bravoure étant légion comme sur « Skeleton of Splendor » sur lequel les deux se répondent vocalement et l’effet ainsi produit est vraiment fantastique. Troy tient quand même souvent le premier rôle et sa prestation habitée sur la magnifique ballade « Had it All » qui aurait pu être écrite par Jerry Cantrell vaut son pesant de cacahuètes. Son timbre y rappelle étonnamment sur certaines fins de phrases celui de Greg Puciato (son pote de Killer Be Killed). Brent Hinds est plus effacé, même s’il a aussi droit à ses moments de gloire, notamment sur un « The Beast » influencé par la country sur lequel il prend le micro et le fait très bien, ou un peu plus loin sur « Peace and Tranquility », même si dans les deux cas il est en réalité secondé par Dailor qui intervient toujours à un moment donné sur les deux titres de sa belle voix claire. La variété vocale et le contraste entre le timbre clair de Dailor et les voix plus rocailleuses de Troy et Brent sont toujours un vrai point fort du style Mastodon, leur complémentarité et l’alchimie qui s’en dégage étant franchement inégalable.
Evidemment, non content d’avoir une voix splendide et toujours très en avant, Brann Dailor est également toujours aussi impressionnant derrière ses fûts qu’il tabasse toujours avec la dextérité qu’on lui connaît (cf l’accélération sur « Gobblers of Dregs » même si évidemment il y a l’embarras du choix sur les 15 titres), tout en sachant se faire sobre lorsqu’il le faut. Bien qu’il ne brille donc que ponctuellement vocalement, Brent Hinds est pour sa part toujours aussi essentiel à la guitare avec sa patte et son style immédiatement reconnaissables qui font de Mastodon ce qu’il est. Je dois avouer par contre ne toujours pas être un grand fan de ses solos de guitare et de ceux de Bill (critique légère que j’aurais pu déjà formuler sur Emperor of Sand) qui peuvent (et c’est sans doute pour cela que ça me saute plus aux oreilles que d’habitude) sembler légèrement surabondants sur l’album (notamment en fin du 2ème disque). Mais ce sera bien la seule critique que je serai en mesure de formuler parce que pour le reste, ce double-album est tout simplement une œuvre d’art assez remarquable du début à la fin, à la fluidité assez impressionnante et contrairement à ce que l’on aurait pu croire donc, sans le moindre temps faible.
Quand vous vous serez comme moi fait voler à répétition 1h25 de votre vie qui n’auront jamais semblé passé aussi vite, vous serez bien obligés d’admettre que Mastodon a encore fait très très fort et que le groupe est décidément l’un des meilleurs groupes de metal de notre époque, si ce n’est le numéro 1. Magistral une fois de plus, ce 8ème album continue à participer à l’écriture de sa légende par ce groupe dont on attend encore la première faute discographique… Puisse-t-on attendre encore très longtemps!
Tracklist :
Disque 1
01 – Pain with an Anchor
02 – The Crux
03 – Sickle and Peace
04 – More than I Could Chew
05 – The Beast (feat. Marcus King)
06 – Skeleton of Splendor
07 – Teardrinker
08 – Pushing the Tides
Disque 2
01 – Peace and Tranquility
02 – Dagger (feat. Dave Witte)
03 – Had it All (feat. Kim Thayil)
04 – Savage Lands
05 – Gobblers of Dregs
06 – Eyes of Serpents
07 – Gigantium