Deux notes de guitare, suivies d’inquiétants bruitages qui rythment l’introduction musicale dérangeante de Nick Cave, ponctuée de sonorités stridentes et oppressantes… La caméra se fixe sur le désert australien, avant de se diriger lentement vers la centrale de haute-sécurité… De celle-ci, on ne sortira plus. Ou presque. Car au-delà du quasi huis-clos que représente la suite du film, c’est aussi et surtout l’immersion progressive dans cette prison qui va nous enrober, nous enfermer, jusqu’à la claustrophobie, jusqu’au cauchemar…
La quasi-impossibilité de réaliser un film original traitant de l’univers carcéral est évidente : en effet, l’espace restreint et les interdictions limitent par définition les comportements possibles, tandis que l’utilisation répétée des habituelles scènes de violence propres à ce sous-genre s’explique par la similitude entre une prison et une autre. Si, par son scénario, Ghosts of the civil dead ne se démarque pas fondamentalement de ses confrères cinématographiques, l’œuvre de John Hillcoat n’en reste pas moins un objet rare et unique. En effet, le réalisateur australien adopte un parti-pris formel ambitieux et rigoureux qui tranche avec les réalisations habituelles : cadrage carré et symétrique, mouvements lents, réalisation clinique, addition de différentes séquences distinctes. À ce travail sur l’image s’ajoute une narration qui joue assez habilement la carte du documentaire (voix off, extraits télévisés, sous-titrage de présentation). Mais le véritable tour de force de l’œuvre, c’est de dépasser ce réalisme quasi-documentaire en y intégrant une bande-son hallucinée et cauchemardesque, mêlant cris lointains, musique hypnotique, pensées des personnages et dialogues. L’image s’installe souvent à la façon d’une caméra de vidéosurveillance, se fixe à un endroit pour n’en plus bouger jusqu’à la séquence suivante, d’une neutralité renforçant la déshumanisation qui accompagne l’avilissement progressif des prisonniers. Car au-delà de l’esthétique menaçante et géométrique qui façonne cette centrale froide et futuriste, le propos est accusateur et politisé face à ce système qui, selon John Hillcoat, fabrique consciemment des monstres.
Progressivement, la tension s’installe, la prison nous absorbe, dangereuse et claustrophobe, effrayante et sans issue. Nul soupçon d’espoir ne viendra contrebalancer le tableau, nulle chaleur ou sympathie ne se dégagera des personnages déshumanisés, sans passé ni futur, évoluant au sein de ce microcosme au fonctionnement animal. La démonstration est implacable, l’accusation s’élève progressivement, mais le propos reste empreint de nihilisme. Entre documentaire politisé et film d’horreur aux allures futuristes, Ghosts… of the Civil Dead est avant tout un objet d’Art, traversé par un souffle esthétique et sonore glaçant. À classer parmi les meilleures réalisations traitant de l’univers carcéral.