Qui a peur de Virginia Woolf ? (Mike Nichols)

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Annee de sortie: 1966

C’est l’histoire d’une guerre conjugale. D’une bataille cruelle, drôle et intelligente qui éclate une nuit de beuverie pour finir avec celle-ci, à l’aube. D’un âpre combat sismique dont aucun des deux couples de l’histoire ne sortira indemne, pas plus que les spectateurs.

Scène d’ouverture : un couple visiblement éméché regagne son domicile. « Quel trou infect », marmonne une Elizabeth Taylor dépitée de s’apercevoir de l’état de son salon. La légendaire star glamour d’Hollywood est méconnaissable tant elle apparaît âgée et bouffie, sardonique et lapidaire. Dès ces premières minutes, l’irritation est palpable, la tension s’installe entre les deux protagonistes principaux. L’arrivée d’un jeune couple invité quelques heures auparavant accentue le climat délétère. La surenchère verbale débute, les joutes rhétoriques se succèdent, les ressentiments jaillissent et explosent. Relégué au rang de spectateur, le jeune couple mal à l’aise observe ce jeu pervers qui va crescendo. Les verres s’accumulent et l’alcool fait surgir les confidences, avant que l’entreprise de destruction ne se poursuive, emportant sur son passage le jeune couple dans ce tourbillon laconique et sans issue qui n’épargnera personne.

Tiré d’une pièce de théâtre d’Edward Albee, Qui a peur de Virginia Woolf ? doit logiquement beaucoup à la force des mots, aux tournures assassines qui se succèdent, à la fois drôles et brutales. Mais si le début du film tire sa quintessence du théâtre, la suite sera plus cinématographique : les images délibérément tournées noir et blanc sont magnifiées par les superbes jeux de lumières et la réalisation virtuose et moderne de Mike Nichols, impressionnant de maîtrise pour son premier film. En parallèle, le scénario nous immerge progressivement dans un climat de violence psychologique de plus en plus étouffant. Mais Qui a peur de Virginia Woolf ? est aussi l’histoire d’une rencontre cinématographique extraordinaire. Celle de deux monstres sacrés du cinéma qui jouent ici les rôles de leur vie. Au sens figuré comme au sens propre, puisque Elizabeth Taylor et Richard Burton, déjà mariés lors du tournage, vivent alors une relation tumultueuse marquée par les blessures et l’alcool. Excès, amour, haine, violence, folie et tendresse se conjuguent et se reflètent dans le miroir de leur propre vie amoureuse. Les regards fiévreux et habités de l’actrice s’imprègnent durablement en nous, tandis que son acolyte n’est pas moins convaincant dans son rôle de vieux cynique à l’humour cinglant. Mike Nichols n’épargne pas les deux autres personnages, véritables pantins dont le jeu dirigé par les conventions sociales tourne peu à peu au cauchemar, couple bâti de toutes pièces qui se retrouvera sans doute irrémédiablement détruit par la mise à nu de son édifice artificiel.

L’expulsion en quelques heures de rancunes et de chagrins accumulés durant une vie est forcément éprouvante et intense, mais ce qui bouleverse avant tout, c’est la découverte progressive de la vulnérabilité des personnages, de cette fragilité que l’on entrevoit lorsque Martha erre dans le jardin, seule et désemparée, vieille folle s’agrippant à son verre. La sensibilité perce, et la fragilité qui se dévoile est d’autant plus bouleversante qu’elle était enfouie. Enfin, la tendresse et l’affection surgissent pour nous offrir l’une des plus belles scènes d’amour de l’histoire du cinéma, atypique et poignante, magnifique moment de compréhension mutuelle empli de résignation et de tristesse. Chef d’œuvre.

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