« Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire. »
Cette citation d’André Gide illustre parfaitement les limites auxquelles se heurtent les personnages du Passé, dernier film en date d’Asghar Farhadi. Dans ce récit d’une recomposition familiale éphémère produite par le retour à Paris d’un homme qui doit divorcer de son épouse, les caractères sont constamment confrontés à leurs actes et à leurs souvenirs antérieurs qui fragilisent l’avenir pour meurtrir leur présent. Ex-mari, ex-femme, nouveau fiancé, épouse plongée dans le coma, enfants des uns et des autres : les interactions multiples complexifient encore des rapports humains placés sous le signe de l’incertitude. Face aux non-dits, la recherche de la véracité du passé aboutira au cataclysme émotionnel conjugué au présent.
Car c’est l’une des grandes forces de Farhadi que de bâtir un drame à partir de ce qui semble un rien, de développer un véritable thriller inattendu à partir d’un récit qui débute sous une forme somme toute banale. Peu à peu, les secrets sont divulgués, les certitudes explosent, les coups de théâtre s’enchaînent… Avec une retenue qui permet pourtant au film de ne jamais sombrer dans la grandiloquence ou le pathos. La tension qui s’installe peu à peu se nourrit des silences, des petits détails, des dialogues où chaque mot peut déclencher un bouleversement. Mais si Le Passé est un film loquace qui tire sa quintessence des mots, il dépeint paradoxalement un microcosme familial rongé par l’incommunicabilité, à l’image de cette première scène sous forme de dialogue sourd. Par la suite, l’équilibre précaire sera menacé par chaque nouvelle révélation. Souvent contradictoire, la parole laisse les personnages dans la même expectative que le spectateur.
Ce sentiment de doute est amplifié par les ramifications complexes qui se développent progressivement : à une trame réduite, Asghar Farhadi préfère des pistes narratives multiples qui enrichissent un scénario par ailleurs remarquable. Tous dessinés avec une subtilité et une profondeur impressionnante, les différents personnages revêtent chacun une importance capitale. Et sous la direction d’acteurs parfaite du cinéaste iranien, les interprétations magistrales ne font qu’accentuer l’intensité de cette œuvre à la densité impressionnante. La justesse des personnages confère au film un aspect ultra-réaliste également renforcé par sa lumière naturelle à la fois belle et sobre.
Transposant l’humanité et la puissance de son cinéma d’Iran en France pour en garder sa quintessence, sa force magistrale et son humanité, Farhadi prouve que par son universalité, son œuvre touche au-delà des frontières et des lieux. Par son réalisme saisissant et son intelligence rare, ce décryptage méthodique des faits et gestes des différents personnages élève Le Passé au rang de chef d’œuvre. Avec pour preuve ce dernier plan fixe, magnifique et déchirant, d’une intensité à couper le souffle…
Belle chronique pour un très beau film (pour ma part c’était mon 1er de Farhaddi)
J’ai bien aimé les acteurs et la mise en scène, spécialement Ali Mosaffa et les enfants / ados qui sont bien terrible.
Le côté « coups de théatre à répétition » m’a un peu plus gêné, mais ne nuance que peu le plaisir que j’ai eu à voir ce film. Je vais m’intéresser au reste de la filmographie du réalisateur.