Etron Fou Leloublan – Les Trois Fou’s PerdéGagnent (Au Pays Des…)

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Style: rock déglingoAnnee de sortie: 1977

La musique alternative ou punk ce n’est pas qu’une suite d’accords plaqués par des abrutis qui ne savent pas tenir le manche de leur gratte, un batteur qui chasse les salamandres sur ses cymbales à l’aide de baguettes qui lui servent aussi de démonte pneus quand il faut changer la roue du vélo, oui le vélo ça creuse, et un chanteur bassiste qui aligne deux rythmes et une phrase au groove monotone, voilà pour la caricature dédiée aux biens-pensants, gardez la monnaie.
L’imagerie qu’on a de la musique rock est sur cet album totalement remise en question, pourtant il reste la substance, la vérité du message punk : un fuck off à toutes les simulations, l’humour, la dérision et un regard argumenté sur la société casanière et industrielle de l’après 68, vous l’avez compris Etron Fou Leloublanc partage aux côtés d’autres armateurs de l’impossible tels que Art Zoyd, Gong ou Univers Zero un pan de cette scène que le rock progressif a engendré, je veux parler ici du « Rock in opposition » auquel Fred Frith a dédié ses plus belles heures…

Etron fou a connu l’estime de la critique et des amateurs de réunions burlesques (au sens large puisqu’avant déjà ils officiaient sur les scènes françaises mais dans une plus grande clandestinité) en montant sur scène en première partie de Magma en 1973 pour un show qui allait définitivement et relativement les faire connaitre du public. Sur ce disque donc paru en 1977 (le second après Batelages) Etron Fou libère le genre de trop d’affinités avec les règles frôlant le grostesque pour mieux y plonger défiant ainsi son passé pour se projeter vers d’autres terres; l’excès peut rendre libre, à déraison, mais quand il sublime le contenu, le mettant hors d’atteinte on a toutes les peines à jouer les pères la morale.

Etron fou c’est d’abord un son, azimuté, gentiment déphasé, légèrement destructuré, pour ne pas faire dans le superlatif, une sorte de branche du jazz dur de l' »encore plus approximatif », une douce folie aux relents dadaïstes, avec un référant totalement expérimental du rock n roll.
On suit les pistes sonores de la bestiole acoustique comme si l’on  naviguait sur un fleuve dont on ne connait pas les rives, dont le point d’arrivée est encore nébuleux. On se demande même si le fleuve se jettera un jour dans l’océan. On se laisse glisser sur la surface, mais les remous créent des surprises, les dissonances et les phases atmosphériques contrastent, les visions qu’elles appellent sont tour à tour empruntes de folie ou de joie, toujours en décalage , perpétuel essor de leur syntaxe musicale. En veut pour preuve cette ode à la fluidité aquatique : »Le Fleuve et le manteau »,un titre qui expliquera bien mieux que les mots la teneur de la musique du combo, pour ce second album que Dali aurait pu apprécier à sa juste valeur.

Il n’est pas aisé de suivre la ligne tendue par Etron fou tant elle semble brouillonne, et pourtant de cette lave en fusion, de cette matière bouillonnante, émergent des îlots de contemplation suprême. Saxophone, basse, batterie, guitare, orgue, harmonica tous les instruments se mêlent pour redessiner la carte du ciel de la tête des penseurs aux manettes du disque, avec une maîtrise plus démonstrative paradoxalement que sur Batelages dû en partie à la nouvelle formation du groupe;Francis Grand ( qui a remplacé Chris Chanet au saxo),Guigou Chenevier, Ferdinand Richard accueillent de nouveaux membres de passages dans le combo pour l’enregistrement de l’album. Je peux vous assurer que cette alliance vibratoire dessinée dans l’instant, à l’astrologos plus que métaphysique, pourra sublimer quelques heures de la vie de certains, si on se donne assez de temps pour pénétrer le sanctuaire de cet instant qui relève de la prestidigitation populaire, cela va de soit.

On retrouve dans le chant de Grèzes toute la diablerie et la folie qui accompagnera la grande épopée punk, le chanteur est d’abord ce conteur d’histoires psychédéliques où la jubilation laisse souvent place à des descriptions d’un autre genre, chaotiques et burlesques. Le chanteur au rôle de narrateur de l’impossible est ici brillamment tenu par l’acte de Grèzes qui nous rapproche de la véritable vision punk de la fin des années 70 et l’explosion du psychédélisme industriel, avec un sens de la dérision à faire fuir les moins avertis, il n’y a qu’à se lancer dans la périlleuse incartade du « Désastreux voyage de piteux python » pour se dire que ,oui, les drogues étaient bien plus fortes à l’époque.

Le chemin pour aller à cette musique semblera long et périlleux, mais laissez vous faire, c’est elle qui, un jour, viendra à vous, vous remuera, vous fera sourire, au pire grimacer, mais à coup sûr voyager et pourra vous rappeler qu’avant des groupes comme Sleepytime Gorilla Museum ou Miasma and the Carousel of Headless Horses il existait bel et bien des récipiendaires des écoles expérimentales punkisantes exerçant avec un certain talent les fusions free jazz et rock’n’roll.

La liberté est un plat dont la recette est personnelle mais que l’on partage pour le bien de tous,Etron Fou Leloublan est un de ces drapeaux qui flotte légèrement au dessus de la terre,dans le vaste ciel qui abreuve nos oreilles,pour le meilleur et nécessairement aussi pour le pire,certains passeront leur chemin,c’est pas grave il en restera plus pour les autres.

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4 Commentaires

  1. Rico says:

    Yeah, etron fou leloublan sur Eklektik ! Bien délire ce disque mais il ne serait pas mieux dans la rubrique Anthologik vu son age ?

  2. krakoukass Krakoukass says:

    Ben 15/20 c’est pas anthologique, age ou pas…

  3. Rico says:

    Arf, autant pour moi, je ne savais pas que ça marchait par note.

  4. guim says:

    Au passage je conseille à ceux qui voudrait découvrir le groupe de passer sur amazon il y a souvent des stocks d’occasions à acheter à petits prix.

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