Les albums de « vrai » doom n’étant pas légion, c’est avec plaisir et une relative confiance que j’ai acueilli ce troisième opus d ‘Officium Triste, dix ans après leurs débuts et une carrière plutôt tortueuse, émaillée de changements de line up, séparation puis reformation.
Certes, l’appellation « vrai doom » peut sembler abusive puisque la musique de ces néerlandais se situe parfois à la limite du death, lorsque le rythme s’accélère, que les charges de guitares se font plus agressives que lourdes et surtout, par le chant qui s’en tient de façon quasi constante à ce registre. Mais ce dernier point est de toute façon commun à la plupart des groupes de doom actuels qui semblent oublier que le style était originellement plutôt fondé sur un chant clair. Quoi qu’il en soit, si on excepte ces quelques incartades, « Reason » est bel et bien un album d’authentique doom ce qui pourrait suffire à réjouir les amateurs plus ou moins puristes du genre, à commencer par moi, si, la première écoute passée, les titres ne semblaient s’être enchaînés sans laisser de trace profonde dans l’esprit, tel un flot lent mais vite tari (si les morceaux sont assez longs, l’ensemble est en revanche d’une durée relativement courte qui explique peut-être en partie la sensation que l’on a de rester un peu sur sa faim lorsque le disque s’immobilise), sans détour inattendu ni jaillissure hors de sa sombre mais souvent trop morne trajectoire.
Alors, on se dit que c’est normal, que ce genre de disque s’apprécie sur la durée, encore deux ou trois écoutes et on s’émerveillera de ses trésors cachés qui nous avaient complètement échappé la première fois. Mais malheureusement, les nouvelles écoutes successives ne permettent qu’à moitié de revenir sur cette première impression d’un certain manque de personnalité et Officium Triste, régulièrement comparé à Anathema et My Dying Bride, me paraît encore bien loin d’égaler l’excellence de ces formations.
Pourtant, l’affaire commençait avec une belle assurance, entrant immédiatement dans le vif du sujet sans s ’embarrasser d’une introduction à proprement parler et amenant sans tarder les premières lignes de chant. Mais très vite, l’élan retombe et ce premier morceau, illustration de la pire facette de l’album, forme une pièce sans véritable caractère, à la composition bancale.
S’il y a une « pire » facette, il y en a donc une meilleure me direz-vous et en effet, du bon, il y en a sur cet album et même, pour être tout à fait juste, il en constitue la plus grande partie.
Dès le deuxième titre, les espoirs semblent à nouveau permis: une pure pièce doom aux guitares de plomb et lignes mélodiques s’étirant à l’infini de la douleur, soutenues par des nappes de synthés judicieusement utilisés et une batterie aussi lente et pesante qu’un pas de pachyderme puis un habile changement de rythme qui amène une accélération du mouvement, toujours accompagné d’un chant caverneux éteignant l’idée même de lueur, avant de retomber, de tout son poids de souffrance sans espoir. Un effort de composition réussi, tous les ingrédients d’une malsaine beauté et pourtant, l’émotion peine à naître tant cela semble avoir été déjà entendu.
Mais le mieux est toujours à venir, comme le prouve « This Inner Twist », plus brutal et direct tout en conservant une finesse mélodique qui dessine ses arabesques de mélancolie. Après des premières minutes assez banales, s’ensuit une sobre partie de clavier supportant l’interrogation existentielle d’une voix pour une fois claire avant une dernière phase flamboyante qui nous entraîne dans ses saccades plus rapides où le synthé épouse parfaitement les mouvements de guitare saturée, le tout constituant un des moments les plus pertinents de l’album.
Et ça n’en finit pas de s’arranger, le titre suivant s’affirmant comme une petite merveille de composition dépressive qui n’est pas sans rappeler le My Dying Bride des débuts. Certes, qui voudrait se pencher sur le texte pour y constater toute la complexité des pensées qui doivent tourmenter l’esprit d’un chanteur de doom risque de rester pantois devant la platitude de celles étalées ici: « The sun doesn’t shine anymore/ Grey clouds cover the sky forevermore/ And I miss you, your smile, your laughing face ». On se concentrera donc sur l’aspect strictement musical… Partagé entre les éclats du désespoir et l’enlisement de l’angoisse sans exclure la douce bien que triste sérénité que laissent entrevoir d’atmosphériques nappes de synthé, ce morceau est traversé d’un bout à l’autre d’une intensité palpable qui fait trop souvent défaut par ailleurs.
Puis vient « A Flower in Decay », final en forme de dernier travail de sape qui fera retomber (mais avec tant de grâce) dans la plus sombre résignation le moindre sursaut d’excitation et de vie que votre coeur aurait pu être tenté de suivre jusque là.
En conclusion, ce « Reason » est malgré tout un bel album propre à bercer de ses nappes sombres les esprits pareillement ténébreux mais qui demeure à ce statut de fidèle compagnon de peine en ne parvenant que trop rarement à éveiller des sentiments plus intenses.
- in pouring rain
- the silent witness
- this inner twist
- the sun doesn’t shine anymore
- a flower in decay