« REVOLTE CONSOMMEE, le mythe de la contre culture »

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Toi! Oui toi! Tu es un rebelle. Ca se voit de suite. Tu es différent des autres. J’ai ce qu’il te faut mon ami. Un tatouage, des piercings, de la bouffe macrobiotique ou la dernière paire de baskets top hype, j’ai tout ce dont tu peux rêver. Un tee-shirt du Che ? Allons mon ami tu ne voudrais pas te répandre dans la fange de la plèbe ?! Sois toi même ! Ton esprit doit être libre ! Allez je te fais le forfait avec abonnement contre-culture. Tu auras toujours une longueur d’avance ! Vous connaissez le refrain : tout ressemblance avec une situation donnée… Alors juste une question : ça te coûte combien ton goût de la différence, ton culte de l’anticonformisme, ta déviance quasi chronique ?
Non je ne vire pas réac’. Mais il faut bien admettre que les courants dits contre culturels, anticonformistes et autres rebelles ne parviennent pas à modifier le modèle dominant de notre société et de sa culture capitaliste. Encore moins à le faire vaciller ou lui donner une nouvelle conscience. Et ce quelque soit la décennie, le mode de pensée ou l’action contre-culturelle engagée. Pourquoi ? C’est ce que se proposent de nous expliquer Joseph Heath et Andrew Potter, deux universitaires canadiens pour qui toute rébellion s’avère vaine. Aujourd’hui selon leur analyse, la théorie de la société sur laquelle repose l’idée contre–culturelle est tout bonnement fausse. Elle n’est qu’un leurre nourrissant le terreau d’un business sans limite, sans frontière, sans fin. Le constat de cet échec est simple : la contre-culture se récupère, s’institutionnalise, s’achète et se vend. D’un point de vue économique, le capitalisme se nourrit de la contre-culture et la contre-culture se nourrit du capitalisme. La raison invoquée : l’incitation à la différence. Va, vis et deviens ! Ta différence sera le business de demain. Il en est ainsi depuis des décennies. Regardez les hippies, les punks, les bobos. Tous différents. Tous évoluant dans un mode de fonctionnement finalement très similaire. Le culte de la différence, de la liberté, du cool ou tout ce qu’il vous plaira de mettre en avant. Peu importe. C’est un marché porteur !
Mais derrière cette première critique économique, les auteurs s’attaquent également à la théorie de la contre-culture comme mode de pensée, engendrant ses théories politiques, sociétales, philosophiques ou psychologiques où le refus de toutes normes est généralement mis en exergue. Le phantasme d’une liberté totale de l’individu, un univers où la règle et la norme sont annihilées. Il sera d’ailleurs comique de lire la mise en parallèle des théories libérales et anarchistes libertaires sur la question. Bluffant de similarité. L’opposition politique droite-gauche n’y survivra pas d’ailleurs… Mais pour revenir à la question de la norme, les auteurs nous rappelleront bien vite que nous vivons en société, que l’individu subit bien malgré lui un processus de civilisation, lui procure une protection, un cadre, et surtout un plaisir (notion maîtresse que la contre-culture oublie bien souvent…), où la norme et la règle ne sont plus vécues comme une imposition mais justement comme une normalité salvatrice. Nous sommes si bien socialisés… Au travers d’une analyse toujours limpide et concise, à grands renforts d’exemples contemporains, les auteurs jonglent avec la théorie freudienne, des éléments historiques, une analyse sociologique et philosophique pour nous amener à de nouvelles pistes de réflexions où les grands thèmes de la contre-culture ne sont pas forcément fustigés mais analysés, décortiqués et passés au travers du prisme d’une certaine réalité.

La technologie moderne a créé un système de domination et de contrôle total ? Certainement. La nature est en train d’être systématiquement détruite ? Tout à fait. La société industrielle ne donne que des satisfactions compensatoires ? Très juste. Les masses sont composées de conformistes compulsifs et hypersocialisés ? Rien que du connu donc tous ces thèmes de la contre culture. Mais il est d’autres questions soigneusement évitées par les grands mouvements de la contre culture qui nous confrontent à une réalité bien plus difficile voir dangereuse. Par exemple, où tracer la frontière entre transgression et pathologie ? Où la pensée sans contrainte se confond-elle avec la maladie mentale ? Quelle est la différence entre le comportement antisocial et la rébellion contre la société ? A quel point l’alternative dégénère-t-elle en folie pure ?
Finalement, ce qui est généralement qualifié de comportement ou pensée rebelle n’est-il pas une simple déviance ? Une façon de se sentir vivre, de se différencier, de gérer son adrénaline, de jouer en satisfaisant un certain plaisir ? La dissidence qui consiste à remettre en cause un ordre établi mais surtout à s’inscrire dans une alternative et la vivre dans son quotidien est bien plus courageuse mais aussi dangereuse. Un exemple : selon les auteurs, le capitalisme se nourrit de la consommation mais la consommation de masse est induite par des individus lambdas sujet à l’envie, au goût de la différence et non forcément victime de la publicité. La solution est simple. L’individu lambda mécontent de son sort et de ses dépenses voire emprunt d’une certaine conscience alors « révolutionnaire » devrait réduire ses revenus. Faible revenu = faibles dépenses. Un tel comportement reproduit à l’identique par des milliers voir des millions de personnes remettrait réellement en cause le système capitaliste. Pour autant qui aujourd’hui aurait le courage de réduire ses revenus ? Ou plutôt quel est le pourcentage d’une population donnée en ayant l’envie et le courage. Son cadre de vie, son entourage, sa vie professionnelle sont autant de freins. Pourquoi devrais-je le faire puisque mon voisin s’y refuse ?… Pourquoi devrais-je me priver de ce bien qui me valorise si bien ? Et c’est en cela que la contre-culture se heurte à la réalité, à la notion du plaisir et du confort.
Elle devient nul et non avenue. Tout au plus un habile vernis lissant nos frustrations… Ami rebelle lit ce livre. Ami conformiste achète ce livre et lit-le. Ami rockeur, je suis tout aussi déprimé que toi !

REVOLTE CONSOMMEE le mythe de la contre culture
De Joseph Heath et Andrew Potter
Ed. Naïve – 2006

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