Raison D’etre – In Sadness, Silence and Solitude

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Style: ambiantAnnee de sortie: 1998Label: Cold Meat Industry

Raison d’être n’est jamais une expérience facile. En bientôt dix-huit ans d’existence, ce fleuron du dark ambient géré en solitaire par Peter Andersson a suscité pas mal de perplexité chez les mélomanes et les journalistes. Certains y voyant un génial travail de fond dans l’apprivoisement d’ambiances sombres et ésotériques, d’autres un amas de collages sonores de valeur inégale, mais pratiquement tout le monde s’unissant pour reconnaître à la bête des allures de mystère insondable. In Sadness, Silence And Solitude offre une synthèse améliorée de l’œuvre de Raison d’être première époque, contenant certains des titres les plus aboutis d’Andersson.

A tout seigneur tout honneur, commençons par le morceau d’ouverture, “Reflecting In Shadows”, qui fait naître cet album dans l’estomac des ténèbres, à des lieues sous la surface, d’où parviennent grondements étouffés et autres clapotis inquiétants. Tout au long du morceau, cette atmosphère oppressante va se densifier et refermer lentement sa prise, accueillant à la toute fin quelques versets filtrés de chant religieux comme le trait de lumière libérateur. Il ne faut surtout pas espérer accrocher à du Raison d’être comme à n’importe quelle musique “commune”, celle-ci n’étant pas conçue dans le but de séduire ou de dérouler un flux structuré d’instruments et de textes. Ici tout est affaire de paysages sonores lugubres qui se dévoilent sans aucun objectif de début, de milieu, de fin. On y traverse des champs de douleur mécanique où résonnent d’insaisissables collisions de metal, chuintements, raclements, et autres bruissements à l’origine confuse. Raison d’être est un souffle pourvoyeur d’images désolées, une sorte de VHS meurtrie retrouvée sous les décombres un lendemain d’apocalypse. Une bande son que l’inclusion discrète mais importante de nappes de clavier et de chant sacré contribue à rendre gracieuse, presque extatique, comme si cette vision dégénérée de fin du monde voulait revenir à la splendeur nue des origines, en un filigrane où bien-être et agonie fusionnent dans une dernière sarabande nuptiale.

Au milieu de cette désolation, “In Absence of Light” fait cavalier seul, avec sa rythmique tribale qui épaule parfaitement un chœur invisible semblant expulser à l’infini les syllabes “Raison d’être” – mais sans doute mon oreille partiale entend-elle ce qu’elle veut savoir associé à cette oraison majestueuse. Après l’intermède neutre et fermement nihiliste de “The Well Of Sadness”, les âmes déchiquetées partent hanter “Deep Enshrouded”, vomissant à l’unisson une haleine plaintive et discordante alors qu’ondule, sans jamais retomber, un son désincarné comme la sensation d’être prisonnier d’une turbine de réacteur peu avant sa mise à feu. Une minute avant la fin de cette pièce d’anthologie horrifique, une chorale se décide à élever ses accents froids et pétrifiés dans un unisson puissant qui soulève littéralement la poitrine.

Puis Andersson nous abandonne de nouveau au néant, celui d’une myriade de clochettes qui tintent dans le noir, attendant le passage d’une procession funèbre ponctuée par la mélopée sinistre d’un instrument à vent qu’on identifiera comme une flûte orientale, et qui semble à chacun de ses soupirs jeter un nouveau présage de mort en travers du chemin. Voilà pour “Falling Twilight”, l’un des moments les plus malsains de Raison d’être. Les 13 minutes de “Passing Inner Shield” ne sont alors plus que la chute inévitable le long des parois saillantes de ce puits d’où Raison d’être a voulu s’extirper le temps d’un album. La chute sans forme vers un monde d’en dessous, imperméable aux sentiments humains et à l’attrait du timbre musical ; un monde qui nous restera inconnu en dehors des échos qui nous en parviennent sous la forme d’un vent vicié, amer, chargé de noirceur absolue.

Et alors qu’il reste cinq minutes et que l’on s’attend à les passer dans un retour progressif vers le silence, s’élève subitement la séquence la plus mélodique de l’album. Une sorte de générique final combinant percussions spectrales et arpège de clavecin mélancolique, qui précède la véritable conclusion, un sample de motet religieux à quatre voix du plus bel effet. Une dernière flambée de mysticisme pour terminer sur une lueur d’espoir, ou bien l’extrême-onction qui enterre définitivement les illusions et abandonne aux entrailles de la nuit la clé de l’énigme Raison d’être ?

Un élément de réponse sera apporté par l’album suivant, The Empty Hollow Unfolds, impitoyable jugement dernier sur fond de règne sans partage des éléments et de la pourriture, alors que toute trace de vie organique a disparu et que les machines restent en témoins immortels de leur propre abandon. Mais c’est déjà une autre époque…

  1. reflecting in shadows
  2. in absence of light
  3. the well of sadness
  4. deep enshrouded
  5. falling twilight
  6. passing inner shield
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2 Commentaires

  1. PA says:

    J’ai beau ne pas l’avoir écouté depuis longtemps, ça reste pour moi l’album le plus cohérent de Raison d’Etre, même s’il autorise peut être en conséquence trop l’auditeur à se laisser aller dans les méandres de la musique.

  2. Delay Ivan says:

    Un dernier commentaire datant d’il y a… 12 ans sur ce site !!! Cette faible participation en rapport à l’Art avec un grand A de Raison d’Être m’intrigue passablement ! Je dois dire que moi-même ne suis tombé qu’aujourd’hui, par pur accident, sur cette excellente et magnifique analyse de Matt M. !!! (De quoi donner l’envie à n’importe quel quidam d’écouter ce disque et de découvrir Raison d’Être s’il ne sait pas de quoi il s’agit !) Depuis lors, il y a bien sûr eu des « tonnes » de nouvelles production signées Peter Andersson, non, pardon… Raison d’Être ! Dans le même esprit musical, il y a aussi le duo germanique Troum que j’ai découvert tout récemment ! Génial ! Et, dans un registre moins… « gothique », il y a bien évidemment ce cher Klaus Schulze, « le » survivant, qui sévit à nouveau en ce siècle dans ce qu’il sait le mieux faire (au-delà de certaines, mais très – trop ? – nombreuses, mais pas si concluantes recherches tous azimuts effectuées dans les années 80, ce bémol émis de ma part ne constituant qu’un avis tout personnel !), à savoir la musique planante (avec ou sans Lisa G. !) Bon les gars et les filles, rendez-vous dans… 12 ans ! Cordiales salutations ! Ivan

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