S’il y a un album qui porte mal son nom cette année, c’est bien celui-là. Pas que j’attendais quoi que ce soit de ce groupe, les américains ne m’ayant jamais intéressé, exerçant un noise/mathcore chaotique débordant parfois vers le grind mais restant toujours foutrement chaotique et, au final plutôt pénible. Une écoute distraite de quelques titres des précédents albums avait suffi en principe à me tenir éloigné pour toujours des sorties de ce groupe même si l’éponyme de 2010 était déjà nettement plus intéressant. Ce cru 2018 est un peu différent (quoique dans la continuité du précédent en réalité) développant une approche moins hermétique, même si You Won’t Get What You Want reste un album qui nécessite de nombreuses écoutes pour être bien cerné et compris. Pourquoi avoir ne serait-ce que posé une oreille sur le nouvel album d’un groupe qui ne m’intéresse pas ? Au-delà d’une certaine curiosité qui m’amène à m’infliger parfois l’écoute d’albums qui ne sont -a priori- pas pour moi, il y a d’abord cette pochette que je trouve sublime, et totalement fascinante.
Et ce mot n’est pas choisi par hasard : au final You Won’t Get What You Want est en effet un album que je range dans la même catégorie que le dernier album des Drones, que j’ai commencé par ne pas aimer tout en étant interpellé et en y revenant sans cesse jusqu’au déclic et à la fascination.
Point commun avec The Drones justement, cette voix déclamée très particulière, de clochard désabusé presque, et qui exerce immédiatement une impression très particulière sur l’entame, ce « City Song » presque indus, inquiétant, sur lequel on peut aussi entendre des cris étranges, entre jouissance et souffrance. « City Song » reste le titre que j’apprécie le moins de la galette (certainement le titre le plus hermétique) mais il faut lui reconnaître une qualité introductive certaine et au final une certaine pertinence pour introduire l’atmosphère.
Pour le reste, la comparaison avec les australiens n’a pas de pertinence véritable, en dehors d’un certain esprit « punk », Daughters ayant toujours une approche axée sur la dissonance et une certaine idée du chaos, mais un chaos maîtrisé, beaucoup plus posé, et dans lequel on va très vite trouver sur quelques titres, des points d’accroche et même une beauté certaine qui va permettre d’adhérer peu à peu et d’avoir envie d’y revenir pour au final apprécier l’album dans sa globalité. Il y a cette sorte de clavecin, dont il est difficile de savoir s’il s’agit réellement d’un clavecin ou d’un instrument produisant un son proche, mais dont la présence est absolument clé. Cette sonorité originale est très vite saisissante, d’autant que la mélodie qu’elle amène par exemple sur « Satan in the Wait » -obligatoirement le titre qui interpelle le premier car le plus mélodique et quasiment pas chaotique- est d’une grande beauté, surprenante dans un album qui apparaît d’abord comme un beau bordel qui semble se vouloir au contraire anti-mélodique au possible. Là encore le groupe a astucieusement placé ce titre très tôt dans la tracklist et bien lui en a pris, puisqu’il représente une accroche évidente et déjà une première respiration bienvenue, surtout en 3ème position et précédant un « The Flammable Man » justement beaucoup plus chaotique et dissonant mais au final ô combien jouissif également.
La suite est à l’avenant et l’intensité ne descendra pas, que ce soit sur le très direct « The Lords Song » qui démarre presque comme « Land of Sunshine » de Faith No More, avant de partir sur un rythme effréné en moins de 3 minutes. Mais l’une des grandes qualités de l’album est de savoir parfaitement gérer le rythme et « Less Sex » placé en 6ème position va venir calmer le jeu, installer une ambiance plus posée, toujours menaçante et quasi « indus » dans l’esprit, indus façon Nine Inch Nails presque, avec ces vocaux parlés qui auraient pu être signés Reznor. Cette ambiance plus « calme » va perdurer sur « Daughter », un titre qui contient pourtant largement son lot de dissonance, derrière lequel une superbe mélodie s’installe pourtant très vite, reprise finalement par notre ami « clavecin ». C’est foutrement superbe au final malgré les cris de dératé du déjanté Alexis Marshall. Et puis derrière grosse claque, avec « The Reason they Hate Me », quasi-tube génial, pourtant dissonant mais aussi fascinant avec cette rythmique dansante surprenante mais totalement géniale.
Avant le coup de grâce magistral de « Guest House » (son cuivre et ces « Knockin’ Knockin’, Let Me Innnnnnnn! » terrifiants, et ce final qui devient finalement plutôt triste et magnifique) il faudra en passer par « Ocean Song », qui joue les montagnes russes avec ses passages mélodico-posés, et ses assauts dissonants répétés sur plus de 7 minutes qui seront certainement parmi les plus éprouvantes aux premières écoutes. Mais là encore ô combien satisfaisantes une fois « le cap » passé.
You Won’t Get What You Want porte finalement bien son nom en y réfléchissant… On n’est clairement jamais confortable ou en terre conquise avec Daughters sur cet album, il faut l’apprivoiser, le combattre presque aux premières écoutes, car on est en effet loin d’y trouver ce que l’on voudrait (quoique ce puisse être d’ailleurs) malgré la fascination qu’il exerce quasi immédiatement. A la 10ème écoute, le plaisir est incroyable et l’envie d’y revenir intacte. L’impression aussi au final d’avoir affaire à un grand disque, de ceux qui se méritent et ne se révèlent qu’aux plus exigeants et persévérants. Magistral.
Tracklist :
01. City Song
02. Long Road, No Turns
03. Satan in the Wait
04. The Flammable Man
05. The Lords Song
06. Less Sex
07. Daughter
08. The Reason They Hate Me
09. Ocean Song
10. Guest House