Architectes de l’espace, esthètes aux cœurs de glace, les norvégiens d’Ulver avancent sur l’horizon d’une plaine digitale sur laquelle ils temporisent leur marche au gré d’albums toujours aboutis, aux teintes changeantes, aux amas de satures atténuées avec le temps, pour se résorber dans des mariages insoupçonnés d’électronique consacrée et de rock progressif avant-gardiste. Comme le précipité dans la solution électrolyte, les disques du groupe sont le résultat d’expériences aventureuses, aux accidents parfois improbables mais toujours conducteurs, aux paysages synesthésiques et sonores polarisant les rendez-vous de pensées sous-jacentes.
Wars of the Rose a ce frimât constant, ce ton de porcelaine brisée, ce souffle froid et sentimentaliste qui rapproche le disque de ce qu’avait pu produire le groupe ces dernières années. Juste qu’ici les grincements et dissonances ont cette teinte dramatique qui évitent l’esquif de la contemplation pure. L’album se fond dans une atmosphère vaporeuse constamment renouvelée par un sens de la nonchalance et un ton tragique inoculant le pathos d’un ciel pâle et livide à chaque morceau. Cette mécanique de l’isolement au teint radieux, placé sur l’escabelon d’une origine faussement shakespearienne agit pour le coup comme d’un témoignage plus anecdotique qu’autre chose. Le disque a donc ce ton plus familier, cette vigueur apprise sur le tas pour affronter la scène, que le groupe foule désormais. Un ton souligné aux rythmiques marquées et au format pop plus direct comme sur ce « February MMX », perçant comme le cristal, cryogénisé dans le froid de son émanation; un titre qui démontre au passage qu’en matière de rock progressif Ulver a des choses à dire, pas mal de choses à dire. Un sentiment qui revient d’ailleurs quand les premières mesures de « September IV » s’extirpent paresseusement des enceintes, ou quand« England » laisse bruire son camphre à l’odeur d’un Blood Inside remis sur les rails de 2011.
Le moteur de Wars of The Rose tourne grâce a des dispositifs que le groupe connaît par cœur et qu’il récite, comme un bon élève, comme le meilleur même, ce qui le dessert parfois. Les arrangements sont somptueux, le mix clair, les samples agissent comme des révélateurs discrets et fins d’un ADN particulier, en témoigne « Island » et son embrun salé. Les lignes de claviers papillonnent dans des entrelacs de textures drones, de cordes et de nappes éclatantes, serpentant autour des armatures néoclassiques aux enrouures d’une électro contemporaine, et l’évanescence d’une cold wave rajeunie… C’est dans ces moments que l’on reconnait à Ulver un certain sens de la générosité, dans la réserve.
Mais quand le groupe se fend d’un « Providence » aux boursouflures caricaturales de son chant et de son double chorus de parade à la larme paternaliste, on voit comme les ficelles qui tirent en coulisse, et le tour de prestidigitation vire au ratage complet. Providence est cette plage à l’artifice complaisant nourri par un chant qui n’y a finalement pas sa place, d’autant que le titre est perclus de bonnes idées et de trouvailles musicales, passons, car on en viendrait à souhaiter que le morceau ne fût qu’un instrumental, histoire d’oublier la déception. Les détracteurs pourront d’ailleurs ressortir les crocs sur « Stone Angels » qui reste une épreuve classique du Ulver que l’on connait sur Themes From William Blake’s The Marriage of Heaven and Hell et qui agira peut être comme une redite pour ceux qui auraient aimé un peu plus de zêle de la part des norvégiens. Reste que la mise en place est superbe, trop bon élève vous disais-je…
Avec Wars of the Roses, Ulver signe un album en demie-teinte quand on le compare directement à d’autres disques de la discographie des loups du Nord.. Si musicalement le groupe surnage, sur certains titres il adopte un ton scolaire qui a le don d’irriter quand on connaît le potentiel des norvégiens. Envoûtant, le groupe l’est resté, signant de véritables petites perles sur ce nouveau disque, des morceaux qui entrent parmi les meilleurs que le groupe n’ait jamais composés. On aurait presque eu tendance, par contre, à plus parler d’EP pour cette livraison, le découpage se prêtant bien plus à ce type de format, mais soit…
Plus direct, plus pop, un poil plus rock, mais toujours atmosphérique Ulver revient les mains dans les poches, le sourire complice et c’est toujours un plaisir d’entendre ce que le groupe a à raconter; mais s’il a évité l’écueil aujourd’hui on ne voudrait pas le voir fondre sur les syrtes, il y laisserait son navire.
http://www.youtube.com/watch?v=54ubvCSMk5w