« Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ! ».
L’invitation au voyage, à l’évidence, pourrait être baudelairienne mais, ne vous en déplaise, elle sera sigurienne !
Ágaetis Byrjun ou la consonance « exotique » d’une errance, par l’imaginaire, dans les lointaines contrées islandaises. Car telle est la véritable source d’inspiration du post-rock de Sigur Rós : une Islande aux saveurs ensorcelantes empreintes de volcanisme et de douceur.
Cette dualité est déjà présente dans Von (« espoir »), premier album du groupe mais que nous ne découvrirons en France qu’après la sortie d’Ágaetis Byrjun et de l’album sans titre ( ).
Ce qui marque les esprits lorsque l’on acquiert Ágaetis Byrjun, c’est un artwork soigné et troublant : un fœtus ailé, priant, posé sur un fond couleur mer d’Islande et qui préfigure une musique mystique.
Des voix murmurées en guise d’introduction et nous voici plongés dans un univers quasi religieux, suggéré par un orgue dont les vibrations s’entrelacent avec ce son incroyable et puissant qui semble émaner des entrailles de la terre… Ce son novateur est une création de Jónsi Birgisson, chanteur et guitariste charismatique, qui, pour jouer de sa Gibson, utilise un archet de violoncelle, donnant ainsi naissance à des effets atmosphériques uniques !
Un grondement tellurique, une montée en puissance : s’élance « Svefn-G-Englar » où l’on découvre, avec émerveillement, cette voix touchée par la grâce ! Souvent comparée à celle de Thom Yorke (Radiohead), la voix androgyne de Jónsi défie les aigus à la limite de la fêlure et l’islandais, langue rare par excellence, n’en devient que plus cristallin !
« Goggi » Holm et « Kjarri » Sveinsson, respectivement bassiste et claviériste, servent également avec talent cette symbiose parfaite entre instruments et voix.
Déjà l’imaginaire dessine les courbes d’une nature sauvage, coiffée à frimas, soumise aux caprices du vent comme évoquée par les premières notes de « Flugufrelsarinn », prémices d’émotions intenses et de larmes difficilement contenues.
« Ný Batteri » est l’occasion de mettre en avant Ágúst, ancien batteur de Sigur Rós qui quittera le groupe juste après l’enregistrement d’Ágaetis Byrjun et sera remplacé par Orri Páll Dýrason. Le frappement des fûts apporte un contraste tout en force comme le signe annonciateur d’une fracture émotionnelle proche…
Tiraillés jusqu’alors entre profonde mélancolie et pâle lueur d’espoir, une sérénité soudaine nous atteint sur l’envoûtant « Viðrar Vel Til Loftárása ».
Dès lors, les prières auraient-elles trouvé leur écho tant « Olsen Olsen » semble être à son tour une ode à la vie déclamée en « hopelandic », langage fictif élaboré par Jónsi.
L’émerveillement touche malheureusement à sa fin avec « Avalon », morceau entièrement instrumental et qui lentement nous extirpe de ces instants poétiques bercés par des airs mirifiques…