La passion a ceci d’insupportable: elle est attachante. Quand l’ardeur se confond à la violence, quand la raison s’avoue servile, nul doute que l’être subit la puissance de la passion, un plaisir non feint à la commissure des lèvres. Certains la craignent ? Ils ont bien raison. La passion possèdent mille visages que le rock n’en finit pas de dépeindre. To Bring You My Love est de même. Nulle aquarelle aux couleurs délavées. Ici les couleurs sont vives, tranchantes, un rien arrogantes. Elles sont aux couleurs de cette émotion qui vous obsèdent du matin jusqu’au soir, dans votre quotidien parfois même dans votre sommeil. Elle vous vide mais vous êtes profondément heureux. Et cet enregistrement semble en être le parfait reflet.
Troisième album pour PJ Harvey, après un Dry incisif qui voyait naître l’exaltation insoumise de la demoiselle et un Rid of Me rageur où Steve Albini s’avérait le fossoyeur de morceaux secs et hargneux sacrifiés sur l’hôtel du son saturé. Troisième album donc et certainement l’album de la consécration pour la belle ténébreuse se la jouant pour le coup un rien diva. Longs cheveux noirs, rouge à lèvre éclatant (à faire passer Béatrice Dalle dans « 37°2 le matin » pour une sainte) et robe fourreau d’un rouge étincelant. Le décors est planté. « C’est un disque très fort : les musiques, les paroles, l’atmosphère générale, tous ces éléments vont dans une même direction, la quête de l’émotion » affirmait-elle à l’époque. Et aujourd’hui encore ! La violence feutrée de To Bring You My Love demeure intacte et passionnelle.
Six semaines d’enregistrement au studio Townhouse Three à Londres, quatre pour le mixage au studio Windmill Lane de Dublin, en compagnie du producteur Marl Ellis alias Flood, entre autre célèbre pour ces travaux avec Nice Cave, U2, Nine Inch Nails, Depeche Mode ou bien encore les Smashing Pumpkins. Un disque peut-être pas enfanté dans la douleur mais tout du moins vécu par PJ Harvey comme une épreuve : « Il m’a fallu me préparer pendant plusieurs heures avant chaque prise de chant, m’assurer que j’étais vraiment prête à me livrer ». Un disque qui fait également table rase du passé. Exit les compagnons Stephen Vaughan et Robert Ellis. Exit basse tonitruante et fracas, la sobriété est de mise dans ce tableau à la palette versatile où s’entrecroisent violons, claviers, orgues et autres percussions. La guitare jalonne encore le paysage musicale de Polly Jean, mais l’accent est mis sur une nouvelle façon de composer. Hier la guitare se faisait le fidèle bras armé d’une colère intarissable. Aujourd’hui, le piano assure les fondements du canevas, ouvre des territoires musicaux aux horizons insaisissables. La frustration d’hier laisse place à la satisfaction. Hier fascinée par la force du son. Aujourd’hui, attirée par la force du silence. « Désormais, je n’ai plus besoin de crier pour me faire entendre. Je crois que certains silences en disent plus long que tous les hurlements du monde ».
Ce disque respire le chemin de croix aux cœurs de landes arides. Le désespoir s’est évaporé, reste la quête de plénitude. Le calme et la sensualité. Ayant fait le vide autour d’elle, se confrontant sagement à une mise en abîmes, aux raisons de sa colère, elle se doit de porter son monde sur ses épaules. L’ambiance quasi mystique de “The Dancer” qui clôt le bal en est très certainement la parfaite illustration. Un orgue pastoral, la guitare désenchantée de John Parish et la voix ténébreuse de PJ pour nous conter la foi d’une femme ébranlée.
Pour autant, ce disque introspectif, à l’esthétisme dépouillé, décrit à l’époque par PJ comme le reflet d’une certaine douceur, n’en oublie pas de distiller la puissance, la force véhiculée par le flot des émotions mises à nu. “Meet Ze Monsta” où la voix grave et incandescente de PJ surnage au dessus d’un flot de guitares vrombissantes, “Long Snake Moan” véritable morceau de bravoure épique et haletant où la basse de Mick Harvey (The Bad Seeds) bataille au cœur d’un maelström de guitares acérées. PJ y épanche son chant si charismatique, ténébreux et sauvage, ultime instant d’urgence laissant deviner une exaltation toute nouvelle, positive.
La luminosité de l’acoustique illumine le bienveillant “Send His Love To Me”, éclaircit la détresse du thème de la disparition dans “C’mon Billy” et se joue de l’atmosphère claire obscure qui règne sur l’ensemble de cette œuvre. Le chaud et le froid y sont soufflés. On y étouffe presque par instant ( “I Think I’m a Mother”), mais “Down By The Water” le single en puissance, “Working For The Man”, son chant susurré et son orgue saturé de basses monstrueuses, ou bien le contemplatif “Teclo” nous emmènent pour une promenade sur le fil du rasoir au cœur d’une atmosphère tendue, à peine voilée de douceur. Jamais l’expression « à fleur de peau » n’aura été aussi juste pour un disque. Parler de sensibilité ne serait que gageure et euphémisme.
Avec cette œuvre d’une maturité ahurissante (la belle n’avait alors que 25 ans alors), PJ Harvey ne dépose pas les armes. Bien au contraire. Elle fait le choix d’en changer, de s’en approprier une nouvelle : sa quête de sérénité. Et la suite de sa carrière ne peut que s’enorgueillir de ce choix. Ce disque de prime abord sauvage et indomptable saura vous conquérir et vous envoûter avec langueur et passion. La belle s’effeuille, le voile tombe, pas l’émotion.
- to bring you my love
- meet ze monsta
- working for the man
- c’mon billy
- teclo
- long snake moan
- down by the water
- i think i’m a mother
- send his love to me
- the dancer
Belle chronique pour un disque somptueux! Et quelle bonne initiative d’avoir choisit PJ Harvey! J’applaudis.
c’est fou de voir à quel point PJ Harvey emballe moins nos lecteurs que les autres chros anthologik… Même si cette chro a l’air d’intéresser moins de personnes, moi je dis bravo à Neuro d’avoir fait ce choix ;)
j’ai écouté…
Je salue l’effort de chroniquer aussi densément cette artiste que je connais somme toute assez peu (« Is this desire » et quelques titres épars) :)
Darkantisthène : on ne peut pas tout aimer, dommage que tu n’apportes pas ton point de vue.
Cet album est somptueux, une voix venant de l’enfer, des chansons troublantes et fortes !
j’ai réécouté…
Tu ne crois tout de même pas que la belle va dévoiler ses charmes aussi facilement…
certains morceaux me font réellement chier et ne provoque rien en moi, d’autres seront réécoutés avec attention
J’ai choisi cet album car c’est avec celui-ci qu’elle a explosé sur la scène rock internationale, mais tu peux essayer « Stories from the city stories from the sea » qui est beaucoup plus simple et abordable dans un format pop rock de haute volée ou bien carrément « dry » pour son côté rock assez rentre dedans.
Pas mon preferé, mais il est vraiment bien tout de même