Disparu en janvier 2012 alors qu’il réalisait un film sur le thème de la crise économique, le plus célèbre des cinéastes grecs aura laissé derrière lui un grand nombre de chefs d’œuvres parmi lesquels nous retiendrons Le regard d’Ulysse, Paysage dans le brouillard et le plus envoûtant de tous selon moi : L’éternité et un jour.
Ce film évoque avant tout le spleen d’un auteur en mal d’inspiration qui se retrouve piégé dans une vie faite de chagrin et de solitude. Angelopoulos, par le biais d’un récit parfaitement maîtrisé, s’est donc appliqué à extraire l’homme de son enveloppe d’artiste afin de le restituer au monde. Le personnage incarné par Bruno Ganz se retrouve ainsi confronté dès le début du film à une existence vidée de toute sa substance. Dans cet environnement dénué d’artifice, la solitude et les affres du futur constitueront alors l’essentiel de l’univers de notre principal protagoniste. Pourtant, malgré la vacuité existentielle du héros, c’est une œuvre d’une rare richesse qui nous est offerte. En effet, L’éternité et un jour s’intéresse à une myriade de thèmes aussi variés que la quête d’identité, l’amour et le désarroi… À la fois intimes et communs, les axes de réflexion de l’homme-artiste basculeront souvent de l’introspection à l’observation du monde. Par ailleurs, ce long-métrage constitue une remarquable mise en abîme au travers de laquelle l’art semble observer l’artiste dans son incapacité à créer. Comme nous le suggère Angelopoulos, c’est plus dans la communication que dans l’imagination que réside l’obstacle empêchant le poète d’accomplir son œuvre. Dès lors, le sens de la vie pour l’artiste sera d’enrichir son vocabulaire, d’affiner son art et ainsi d’être en mesure de rendre compte de ses sentiments.
Au cours de cette prise de conscience, Alexandre croisera le chemin d’un jeune immigré qu’il s’évertuera dès lors à aider. A travers les nombreux avatars que connaîtra notre improbable couple de personnages, le spectateur se retrouvera submergé par la vision à la fois humaniste et poétique de la vie telle que la conçoit le réalisateur.
Soulignons pour finir l’incroyable esthétique du film, véritable leçon de poésie où la beauté déchire la grisaille omniprésente des décors pour s’infiltrer dans chaque scène. L’image des observateurs inertes se tenant derrière les grillages lors du passage à la frontière, et qui semblent évoquer une partition musicale, est une des images récurrentes du film. En effet, à de nombreuses occasions (le mariage, la morgue.) le même tableau apparait, créant ainsi un jeu de miroir dans lequel le spectateur semble se retrouver face à lui-même. Par ailleurs, à l’aide d’un merveilleux plan séquence déplaçant le récit un siècle plus tôt, Angelopoulos offre une continuité d’une incroyable harmonie au récit d’Alexandre. Le point culminant du film étant porté enfin par la mythique et mystique scène du bus. Ce choix est d’autant plus pertinent qu’il symbolise parfaitement le déplacement dans le temps et l’espace commun à l’ensemble des œuvres du septième art ! L’autobus va alors s’apparenter à une salle de cinéma dans laquelle Alexandre va prendre à son tour la place du spectateur et assister à un enchainement de scènes où s’enlaceront le passé et le présent, le rêve et la réalité, et lèvera alors le voile sur plusieurs facettes du réalisateur (le révolutionnaire, l’amoureux, l’artiste.)
En somme, L’éternité et un jour est un film immersif qui se distingue particulièrement par sa maîtrise de l’image et par la sensibilité de son créateur. Un monument du cinéma à ne pas rater !