Si vous suivez la scène européenne, il y a des chances que vous ayez entendu parler de lui. Ayant démarré ses activités avec De Magia Veterum (depuis 2003) et le désormais incontournable Gnaw Their Tongues (depuis 2005), le hollandais Mories/Maurice de Jong est omniprésent dans la scène UG néerlandaise et européenne. Addict à la composition, le plus souvent en solo, sortant des albums les uns à la suite des autres, créant de très nombreux nouveaux projets qui prennent le plus souvent le black metal comme élément de base (mais qui vont souvent chercher dans d’autres contrées), si l’on cherche un peu on retrouve donc très souvent un de ses projets dans les sorties du moment. Un rythme effréné très difficile à suivre (à moins d’être un die-hard fan) et un nombre incalculable d’albums (plus ou moins écoutables) depuis ses débuts, voilà le topo !
Ainsi, faire une rétrospective complète aurait été fastidieux donc on va donc se concentrer sur les sorties de ces deux dernières années (sachant que 2021 n’est pas fini, nul doute qu’il faudra en ajouter bientôt). Voici donc brièvement résumée l’œuvre 2020-2021, déjà très conséquente, d’un infatigable stakhanoviste:
Hagetisse – the seven sorrows of the virgin (Janvier 2020 – Autoproduction)
Commençons début 2020 avec Hagetisse et sa cinquième sortie sous ce nom, Mories déverse ici un black metal bien cru soutenu par des atmosphères envoûtantes (avec un aspect religieux en référence à son titre) malgré la froideur se dégageant de la production maison. Boite à rythme nerveuse, basse puissante et guitare assez clinquante comme base, le bonhomme nous gratifie ici de sa voix la plus étouffée qui soit (voire arrachée sur « Vallende sterren voor de doodseskaders » qui contient aussi du chant plaintif). Sept titres tout en tension dans un album à l’aura aussi mystérieuse que malfaisante.
Gnaw Their Tongues – I speak the truth, yet with every word uttered, thousands die (Avril 2020 – Consouling Sounds)
Etant donnée son énorme productivité dans ses autres projets, Mories ne peut plus nous livrer plusieurs albums de Gnaw Their Tongues la même année (par exemple cinq sorties dont deux full-lengths en 2018) mais seulement un par an depuis. Pour la livraison 2020 de son projet-phare, on retrouve cette alliance de black metal et de noise perchée et repoussante, créant des ondes nauséeuses qui conviendraient à un film d’horreur de série Z bien glauque quand il ne part pas dans des rythmiques industrielles infernales d’usines sidérurgiques qui s’emballent (le début de « white void black wounds »). Voix déformées reléguées dans le décor et bruits irritants viennent parfaire le tableau, une nouvelle plongée dans la terreur la plus oppressante.
Golden Ashes – In The Lugubrious Silence Of Eternal Night (Mai 2020 – Oaken Palace Records)
Bien qu’il nous propose beaucoup de choses difficiles à encaisser, tordues et noisy, Mories n’est pas contre quelques mélodies. Son projet Golden Ashes nous mène vers un black metal symphonique (ou plutôt synthétique) au contenu très compressé et à la BAR calée sur la vitesse maximale, ce qui n’en fait pas non plus un tout très accessible (malgré les mélodies). Un album aux huit déferlantes vaporeuses plutôt éreintantes malgré les mélodies épiques qui se dessinent sous les flots de blasts incessants.
The Night Specter – They leaned from the heights of cloud to direct the way of swords (Juin 2020 – New Era Productions)
The Night Specter poursuit sous des auspices plus mélodiques mais aussi plus facile d’accès grâce à une production un peu plus « aérée » (on reste tout de même dans une haute densité caractéristique du bonhomme). On a ici un black metal symphonique très immersif tandis que vocalement, Mories ira régulièrement dans des vocalises très haut perchées avec des cris aigus qui duuuurent (donnant un aspect DSBM), renforçant l’aspect de démence qui surplombe ce projet. Un excellent album !
Temple Mist – Ye Invocatioun Of Hys Kynge (Août 2020 – Autoproduction)
Mories s’ennuie, Mories improvise un truc bizarre puis Mories le sort. On pourrait schématiser ainsi l’ensemble de sa carrière mais pour Temple Mist on change un tantinet de registre, s’orientant dans une sorte de dark ambient construite autour de paysages sonores bien lugubres mais ralentis. Le résultat est étrange, c’est inconfortable, malfaisant, on ne comprend pas grand chose. Une sorte d’ambiance shamaniste de l’enfer à écouter toutes lumières éteintes, ou de quoi ajouter quelques cauchemars éveillés à vos insomnies.
The Sombre – Shapeless Misery (Novembre 2020 – Brucia Records)
Du chant clair (puis du growl bien profond), un vrai son de guitare et une lente atmosphère empreinte de tristesse. Oui, c’est bien le mec de Gnaw Their Tongues qui est (seul) à l’origine de The Sombre. Sur ce projet, il s’oriente vers un doom/death très fortement dans l’esprit de My Dying Bride (vocalement comme musicalement), les arrangements sont poignants (on a même droit à quelques violons de circonstance) et les compos aux contours romantiques font le boulot même si l’on est en droit de trouver l’ensemble un poil trop sage en comparaison avec le reste de sa discographie.
Pyriphlegethon – Gales Of Atrocious Whispering (Mars 2021 – Iron Bonehead Records/Kapmes Records)
Pour sa première sortie de 2021, Mories relance Pyriphlegeton (avec lequel il a déjà sorti deux albums), projet de black metal plutôt traditionnel, nerveux mais mélodique grâce à un beau boulot sur les harmonies des guitares (merci la prod très propre). Gales Of Atrocious Whispering dégage une surpuissante force épique grâce à quelques inserts de synthés appuyant les cavalcades ou les mid-tempos héroïques. C’est que ça donnerait presque envie d’enfourcher son fidèle destrier et de partir l’épée à la main !
The Black Mysteries – ...and the opening of the shadowy sepulchre that yawns behind it (Avril 2021 – Iron Bonehead Records)
Vous l’aurez remarqué avec ces dernières mini-chroniques, plus le temps passe, plus Mories a tendance à privilégier les mélodies. Est-il plus équilibré dans sa vie personnelle ? Moins tourmenté ? En tous cas il poursuit à nouveau sur cette lancée avec ce second album de The Black Mysteries au patronyme totalement dans les tons. Sombre, froid et mystérieux, contenant de très nombreuses idées avant-gardistes (des chœurs notamment), une basse bien groovy et des morceaux sinueux marchant dans les traces d’Esoctrilihum.
Grand Celestial Nightmare – Forbidden Knowledge and Ancient Wisdom (Mars 2021 – New Era Productions)
Crédité ici MDeJong, le gaillard a réactivé cette année Grand Celestial Nightmare dont le premier album date de 2016. Au menu de Forbidden Knowledge and Ancient Wisdom on a du black metal à l’ancienne, symphonique et ultra épique sonnant tel un mix d’Emperor, de vieux Dimmu Borgir et de Limbonic Art. Les orchestrations sont variées et plutôt grandiloquentes même si elles sont intégrées à une production plutôt crue, ce qui n’empêche absolument le charme puis l’hypnose d’agir naturellement. Il devrait logiquement figurer dans de nombreux tops de l’année !
Cloak Of Altering – Sheathed Swords Drip With Poisonous Honey (Juin 2021 – Brucia Records)
Huitième album en dix ans, Cloak of Altering est parmi ses projets les plus réguliers. Ici Maurice mixe son black metal à des textures synthétiques/électroniques donnant un feeling sci-fi dissonant. Expérimentant avec de très multiples breaks et des ambiances bien barrées où les machines semblent prendre le dessus, cette « sorcellerie sonore » (sonic witchery en version originale, comme il s’autoproclame). Des morceaux très denses et chaotiques où l’ultra violence s’accompagne de curiosité (malsaine, bien entendu !).
Coffin Lurker – Foul And Defiled (Juin 2021 – Sentient Ruin Laboratories)
Une fois n’est pas coutûme, Maurice n’est pas seul sur ce dernier projet en date ! Et il est accompagné par un vrai batteur qui n’est autre qu’un compatriote, lui aussi impliqué dans de nombreux projets: René Aquarius (Cryptae, Imperial Cult, Plague Organ etc.). S’orientant dans un doom/death au mur sonore quasi drone ultra lugubre complété par des vocaux putréfiés au diapason, Foul and Defiled colmate les conduits auditifs des imprudents par cette lourde crasse et ce, en prenant bien son temps. Une ultime destruction des sens, monstrueuse et poisseuse à la fois.
C’est tout pour le moment (nous sommes en juillet au moment où j’écris ces lignes), onze albums (et encore j’aurais pu compter les rééditions) aux styles variés, plus ou moins écoutables, tous emplis d’une identité toujours très forte, parfois pris d’une envie de repousser les limites du supportable ou de rendre hommage à sa manière aux pères fondateurs du black metal. Nul doute que Maurice repointera le bout de son nez d’ici quelques mois/semaines.En attendant, vous pouvez déjà essayer de digérer ces onze albums sans vomir de peur par les oreilles pour certains d’entre eux ! En tout cas grand respect pour son insatiable investissement et son éternelle volonté de casser les codes !