The Gorge – Mechanical Fiction

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Style: (Math Post) Metal ProgressifAnnee de sortie: 2023Label: Pelagic Records

Un soir de 2016, dans une salle de concert aux États-Unis, The Gorge fait parler les décibels afin de promouvoir son second album Thousand Year Fire. Sur le côté de la scène, Sacha Dunable, chanteur et guitariste du groupe Intronaut qui assure alors la tête d’affiche, observe la prestation. Il décide d’en filmer quelques secondes et de poster la vidéo sur les réseaux sociaux. À près de sept mille kilomètres de là, Robin Staps, fondateur du label Pelagic Records et leader du collectif The Ocean, tombe sur ladite vidéo et, sans doute impressionné par la performance du quatuor de Saint-Louis, s’empresse d’inviter le groupe à accompagner The Ocean Collective pour sa tournée aux États-Unis. Un peu plus de six ans et une pandémie mondiale plus tard, un deal est signé : The Gorge sortira son troisième album sur le label allemand.

Une bien belle histoire, n’est-ce pas ? À titre personnel, je ne crois pas tellement au hasard, et accorde bien plus de crédit au travail, au talent, aux circonstances, ainsi qu’à la logique de scène. Par ces prismes combinés, l’évidence saute aux oreilles : The Gorge est invité par ses pairs à rejoindre la cour des grands. Difficile de ne pas être tenté, à l’écoute de The Gorge, de dérouler quelques noms tels que Mastodon ou les Suédois de Burst, en sus des groupes précités (Intronaut en tête), tant la filiation est manifeste. Tout comme ses ainés, The Gorge brouille sciemment les pistes ; ils empruntent différents éléments du Hardcore et du Metal tout en y insufflant leur propre ingrédient secret (à l’instar du Hard 70’s chez les uns, du Jazz chez les autres) afin de restituer un amalgame sonore bien difficile à décrire en quelques mots.

Le petit plus de The Gorge peut se résumer à l’aide d’un truculent préfixe barbare : Math. Il ne fait aucun doute (d’autant plus à l’écoute des précédents albums) que les membres du groupe ont été influencés par des formations telles que Botch ou The Dillinger Escape Plan, et sans doute également par la scène Math-Rock instrumentale ; en témoignent le court avant-dernier titre, éponyme de l’album ou avant cela le titre « A Decision Was Made » dont les plans de guitare complexes transpirent les influences de cette scène.

Nota : J’ai bien conscience que l’usage des étiquettes et du name dropping est un exercice aussi commode que subjectif, mais lorsqu’il s’agit d’éveiller la curiosité et l’intérêt des amateurs d’un sous-genre relativement peu représenté, la bonhommie de la manœuvre n’est rien en regard du résultat escompté. Essayons néanmoins de décortiquer plus avant ce Mechanical Fiction qui, je le prédis, saura trouver sa place sur les platines (et les disques durs), avec ou sans étiquette saugrenue.

Thousand Year Fire, sorti en 2016, est excellent, hautement recommandable. Il lui manque toutefois un petit quelque chose que son successeur a parfaitement réussi : rendre chacune des secondes de ses titres indispensable. S’il nécessite six ans pour atteindre ce résultat, alors qu’il en soit ainsi ! The Gorge maîtrise son sujet et ses constituants, jongle avec les dosages afin de proposer des compositions variées, mais cohérentes, complexes, mais jamais démonstratives. Au fil des signatures rythmiques élaborées, des riffs entêtants et des mélodies travaillées, le groupe explore, réinvente, multiplie les hommages aux ainés, les tempos et les atmosphères. Les premières écoutes peuvent donner l’impression d’être ballotté par un maelstrom lunatique, et peut-être qu’effectivement quelques passages particulièrement bien troussés auraient mérité qu’on s’y attarde davantage, mais avec le temps, chaque titre révèle sa dynamique, sa logique de composition, et tout s’emboîte et s’enchaîne alors parfaitement. S’il fallait pinailler, on pourrait regretter le chant monocorde, directement emprunté aux racines Hardcore du groupe, mais comme la part belle est souvent laissée aux instruments, la sensation d’uniformité est largement estompée — compensée, même — par des soli bien sentis et disséminés avec parcimonie (celui de « Remnants of Grief », avec sa petite touche Prog, est un régal), des riffs mélodiques ciselés à coups de mediator vétilleux et de double pédale, et quelques incursions en des contrées plus apaisées. The Gorge ne rechigne pas non plus à composer en mode majeur ; n’essayez pas de retenir cette charmante sensation de félicité à l’écoute de l’intro de « Beneath the Crust », avant de vous chauffer les cervicales pour un long passage instrumental où guitares, basse et batterie font lentement monter un phrasé lancinant afin de préparer un final épique et glorieux.

La plus grande force de Mechanical Fiction, c’est de réussir à proposer huit titres solides en piochant dans ses influences (Math)Core et (Post-)Metal, sans pour autant sombrer dans l’exercice indigeste des mélanges artificiels. C’est qu’il en faut, du travail et du talent, pour donner à l’auditeur, même novice en la matière, un tel sentiment d’évidence et d’harmonie à l’écoute d’une musique qui pourrait se révéler inutilement complexe. Mieux encore : en faisant preuve d’une belle subtilité, The Gorge pourrait, grâce à la circonstance opportune (et méritée) de rejoindre le catalogue de Pelagic Records, toucher un large public et se hisser au panthéon des ténors du genre. C’est en tout cas tout le mal que je leur souhaite.

Tracklist :
1. Synapse Misfire
2. Remnants of Grief
3. Presence
4. Beneath the Crust
5. A Decision Was Made
6. Earthly Decay
7. Mechanical Fiction
8. Wraith

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