Meshuggah – Koloss

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Style: thrash destructuréAnnee de sortie: 2012Label: Nuclear BlastProducteur: Meshuggah

Meshuggah est un nom qui se suffit à lui-même, et ce serait presque une mauvaise chose, car le jour où la première « fuite », savamment orchestrée par le label du groupe, a fait surface sous le nom « iamaleak » (il s’agit en fait de « Break Those Bones Whose Sinews Gave It Motion »), d’aucuns se sont dit « oh, encore du Meshuggah ». Les dysrythmies savamment calculées, les palm-mute graves et lourds, les gammes post-jazzy explorées dans les riffs et les soli : tout y était, et le deuxième titre lâché sur la Toile avant la sortie de l’album, « Do Not Look Down », a confirmé cette impression chez certains. Sauf que…

Sauf que…

Sauf que « Koloss » est bien plus qu’un autre album de Meshuggah. Je reconnais, d’une part que l’on aurait pu le dire de presque tous les albums précédents, et ce depuis Destroy Erase Improve qui a révélé définitivement l’immense talent du groupe suédois, et d’autre part que cela reste un avis de grand fan (à savoir votre serviteur moi-même, détenteur des clés de la Zeuhlerie et du Grand Mystère au Chockuggah) ; autant dire que c’est le genre d’avis qui, donné comme ça, sans autre argument, ne fera ni chaud ni froid à un lecteur qui ne se serait pas déjà forgé une opinion inébranlable sur cet album. Aussi vais-je me sentir obligé de détailler.

Meshuggah a toujours sa patte, un style reconnaissable entre mille, qui va bien au-delà de la simple description mécanique de leurs particularités de composition. Un exposé froid de leurs constructions rythmiques et mélodiques ne suffirait pas, sauf peut-être entre les mains du musicologue averti que je ne serai jamais (et encore), à faire ressentir au lecteur le ressenti clair-obscur qui émane du résultat, plus en puissance fauve sur certains albums ou extraits d’albums (Chaosphere, ObZen), plutôt stagnant dans une froideur prenante sur d’autres (Catch Thirty-Three, Nothing). Aussi ne m’amuserai-je pas à décortiquer l’esthétique sonore de Koloss, légèrement plus franche et saute-au-paf, notamment au niveau du kick lourd mais clairement défini de la grosse caisse, et du claquant de la caisse claire ; cependant, cette évolution sonore, comme toutes celles qui ont surgi dans la déjà longue carrière du groupe (un quart de siècle cette année), est finalement digne d’être mentionnée en ce qu’elle est une arme de choix pour faire passer une idée, une émotion, un ressenti.

Le clip officiel de « Break Those Bones Whose Sinews Gave It Motion ». La grande classe.

En effet, Koloss est beaucoup plus rentre-dedans que ses prédécesseurs, sans pour autant perdre la lourdeur et la grande acuité rythmique à laquelle le groupe nous a habitués, et qui constitue une partie de son style. Les structures de riffs complexes, voire même carrément tortueux, ne sont plus systématiquement mis en avant, comme dans les deux chansons les plus barbares de l’album, « The Demon’s Name Is Surveillance » et « The Hurt That Finds You First », sur lesquels la batterie se contente parfois de poser un rythme rapide et basique (quoique toujours empreint du feeling inimitable de Tomas Haake) ; ce changement de paradigme crée une impression de lourdeur plus subtile, qui est encore accentuée par un jeu de toms très présent, ne fût-ce que par de petites incursions « l’air de rien » comme sur l’épileptique « Marrow ».

Ce changement est fondamental, non pas parce qu’un quelconque ennui aurait pu se déclencher sans lui (car j’en doute fort), mais parce qu’il montre que Meshuggah a à ce point affiné sa composition qu’il est capable d’innover en intégrant de nouvelles façons de faire. La mise en avant à tout prix de ce qui a toujours rendu Meshuggah unique, rythmiquement et mélodiquement, n’est plus à l’ordre du jour, d’autant que la vague djent qui est née il y a quelques années a changé les règles du jeu, en montrant que « n’importe qui » peut casser des structures et étouffer des accords de huit cordes… parfois en n’en faisant pas grand-chose (Volumes, notamment, a beaucoup perdu de son intérêt avec son premier album Via, surtout lorsqu’on le compare au reste de la scène), d’autres fois en faisant de ces méthodes des armes supplémentaires au service d’un ressenti (de la chaleur de TesseracT à l’onde glaciale des fabuleux Vildhjarta, encore des suédois, tiens).

« Do Not Look Down », une chanson peut-être plus classique de cet album, juste pour contredire ce que je viens d’écrire. Mais écoutez « The Demon’s Name is Surveillance » sur Deezer, pour vous donner une idée.

Meshuggah le sait et, consciemment ou non, s’adapte. Lorsque la technique est surexploitée, usée jusqu’à la corde, par des milliers de wanna-bes, il devient impossible de s’en servir comme d’un moteur (ce que l’album précédent, ObZen, faisait en poussant jusqu’à un paroxysme stupéfiant) ; il ne peut plus être qu’un outil, et Koloss en est la parfaite illustration, allant même jusqu’à exploiter des lignes rythmiques compréhensibles dès la première écoute (le début de « Demiurge »). Qui l’eût cru ?

Ne croyez pas que je me limite à cette analyse technique et calculatoire, qui ne me vient au final qu’après une vingtaine d’écoutes et en m’y efforçant ; ce qui ressort de cet opus dès la première écoute, c’est une nouvelle ondulation, plus puissante mais moins violente, frôlant parfois une sorte de joie qui s’équilibre presque paradoxalement avec la froideur du style, et qui rend la musique de Meshuggah plus forte et plus humaine. En deux albums, le groupe est passé du souffle glacial de la vacuité (Nothing) à l’énergie furibonde et organique d’un Colosse de terre et de chair ; ce faisant, il a brisé les règles qu’il avait précédemment instaurées, pour mieux les recréer et densifier son univers.

C’est pour ça que pas mal d’aficionados auront été déçus par leur première découverte du Koloss, et c’est pour ça que c’est un chef-d’oeuvre.

>>> Cette chronique a également été publiée sur http://modernzeuhl.blogspot.com/ dans le cadre de nos collaborations.

Chroniqueur

Mathias

Chroniqueur des heures perdues, amant déraisonné de la zeuhl et de toutes ses expressions musicales, auditeur assidu de metal, d'industriel, de mathrock, et j'en oublie.

ModernZeuhl a écrit 7 articles sur Eklektik.

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Commentaire

  1. LPA says:

    Perso cet album est ma première grosse déception de la part de Meshuggah, groupe qui me fascine depuis presque 10 ans maintenant. Ce qui faisait le sel de leurs compositions, à savoir l’expérimentation, a totalement disparu ou presque : les plans sont simplistes et très « carrés », ennuyeux et sans aucune surprise, répétitifs, convenus … à se demander si ça n’a pas été pondu viteuf en quelques jours ! Je ne comprends absolument pas comment les fans peuvent trouver cet album génial alors qu’il est musicalement ultra limité. Au niveau du son il y a une couleur bien spécifique intéressante mais qui sonne trop plastique : la batterie manque de vie et les guitares, dont les ampli sont 100% virtuels, manquent de profondeur, de gras.
    Ce virage de la part du groupe m’effraie pas mal, j’ai un peu peur pour la suite …

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