Djent, késaco?

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Annee de sortie: 2013

Le petit cirque autour du terme « djent » mérite un éclaircissement que je me propose d’apporter, avis très personnel d’amateur des groupes qui s’en réclament depuis un bon moment déjà.

Si le metal est plus vivant que jamais, il a tendance à se mordre la queue aujourd’hui, on n’a un peu de mal à imaginer comment faire encore évoluer cette musique. Est-ce qu’on peut même imaginer un nouveau genre à part entière apparaître? Je n’ai pas l’impression, la tendance étant à la fusion des genres et à l’intégration d’éléments extérieurs au metal.
Dans ces conditions, la première vague de groupes semblant proposer quelque chose d’un peu nouveau est toute suite cataloguée. En réalité, les groupes qu’on peut regrouper sous l’étiquette djent dépendent de la définition qu’on lui donne, et soit ils se comptent sur les doigts de la main, soit le terme devient un fourre-tout réunissant tout groupe faisant du metal à la fois « math », prog et extrême aujourd’hui.

Enfin rien ne dit aujourd’hui que le « djent » ne deviendra pas une vague comparable à celles du death melo, metalcore ou deathcore qui se sont suivies et qui ont effectivement déroulé un certain schéma, quelques groupes précurseur ayant généré une ribambelle de suiveurs. J’ai tendance à penser que ce ne sera pas le cas, l’histoire de la musique n’est pas une science exacte et le terme djent est trop imprécis dès le départ pour cela, on peut y mettre tout et n’importe quoi, n’importe qui peut s’en réclamer.
D’un autre côté, le niveau technique du style est assez élevé pour qu’un tri se fasse dès le départ, il faut déjà avoir une maîtrise instrumentale avancée pour espérer jouer une musique qui s’inscrit globalement dans le metal progressif, avec comme « parrains musicaux » Meshuggah, Devin Townsend et Sikth, pas des groupes de manchots donc.

HISTORIQUE

L’historique du terme djent accompagne l’activité sur internet du guitariste Misha Mansoor, que j’ai comme beaucoup suivi dans son évolution alors qu’il proposait sur des forums des démos de ses morceaux, instrumentales puis avec du chant, en téléchargement gratuit, sur Soundclick ou Youtube, en solo sous le nom Bulb et avec les prémisses de Periphery, qui mettra plusieurs années à devenir un vrai groupe, et enregistrer son premier album. De l’autre côté de la Manche, Acle Kahney suivait un parcours parallèle avec son projet Tesseract qui a vu défiler les musiciens. Les 2 groupes étaient au départ les projets solo de guitaristes qui d’une part avaient les mêmes influences, et d’une autre s’auto-formèrent aux techniques d’enregistrement en home studio en grandissant avec l’évolution de celles-ci.

Cette maîtrise des techniques d’enregistrement est indissociable de l’apparition du genre, ces dernières années ayant vu le matériel et les logiciels s’améliorer énormément, et se démocratiser, elle a permis à des types seuls dans leur chambre à coucher, nerds de matos audio, de produire des démos complètes d’un niveau équivalent si ce n’est supérieur à ce qu’un groupe pouvait enregistrer pendant des jours en studio quelques années encore auparavant.
La programmation des pistes de batterie en est l’exemple le plus frappant concernant le metal, elle a pris son envol avec le Drumkit From Hell (développé avec le batteur de Meshuggah pour Catch 33 en 2005) puis ses suites et concurrents, qui ont permis d’obtenir des rythmiques électroniques sonnant quasiment comme jouée par un batteur. Un guitariste souhaitant développer des idées de compositions rythmiques complexes pouvait dès lors le faire sans collaborer avec un batteur.

John Browne de Monuments, Misha Mansoor de Periphery et Acle Kahney de TesseracT

Un ordinateur, une carte son pro, des enceintes de studio et un Axe FX, ne reste qu’à brancher sa guitare.

Thomas Haake en permanence disponible derrière les fûts virtuels.


Je reviendrais juste après sur le sens à donner au terme djent, mais le son de ces groupes est également lié aux nouvelles machines qui permettent de modéliser des sons de guitare de façon digitale, en gros ce sont des ordinateurs qui prennent en entrée le son brut de la guitare et génère un son de guitare simulant le passage par des amplis et pédales de toutes sortes. Le « Pod XT » de Line6 est le premier à s’être répandu, aujourd’hui une machine comme le Fractal Audio Axe-FX IIest utilisée par énormément de musiciens, John Petrucci, Dweezil Zappa, Jeff Loomis, Devin Townsend ente autres. Bientôt (si ce n’est déjà) les murs d’enceintes sur scène seront fictifs, les guitaristes se branchant directement sur la sono des salles de concert.

Ce genre de machines, outre qu’elles permettent d’enregistrer immédiatement des sons de qualité professionnelle, génèrent des sons de guitare superbes, les distorsions les plus puissantes et définies qui soient et des sons clairs aux effets « nappes de son » dignes des meilleurs synthétiseurs.

La conséquence immédiate de ces techniques a permis aux musiciens d’enregistrer plus rapidement des morceaux complexes, diffuser ces compos sur internet et d’attirer des musiciens chevronnés qu’ils n’auraient pas rencontré dans leur région pour former un groupe. Ainsi Periphery s’est développé sur la toile comme une collaboration entre des musiciens habitant d’une côte à l’autre des Etats-Unis, la puissance des logiciels d’enregistrement, leur disponibilité en version crackée et internet permettant à chacun d’enregistrer ses parties et de les échanger.

DJENT?

Le guitariste de Meshuggah, Fredrik Thordendal, est sensé avoir inventé le terme, onomatopée pour décrire une note ou un accord joué étouffée sur les cordes les plus graves d’une guitare avec un son très saturé en gain, types de notes omniprésent dans la musique de Meshuggah, dès l’EP None, sorti en 1994.

Meshuggah – Aztec Two Step – None EP
http://www.youtube.com/watch?v=WVP48x4U7QE


Personnellement j’aurais tendance à penser que le terme s’applique aux types de riffs utilisant cette technique de jeu sur les cordes les plus graves de guitares sous accordées (Drop C, plus grave sur des guitares 7 ou 8 cordes), alliant notes étouffées et syncopes sur des rythmes polymétriques, avec une distorsion au gain élevé faisant ressortir des harmoniques dans les aigus.

Ca c’est pour l’aspect technique mais ça peut aussi être un mouvement musical qui réunit les groupes utilisant ce type de riffs, avec en marge quelques groupes de deathcore techniques ou de metal prog inclassable qui ont quelques passages djent

Au niveau de l’esprit, outre l’utilisation des technologies d’enregistrement en home studio les plus actuelles, les groupes qualifiés de djent partagent certains traits au niveau des thématiques. Le néo metal baignait dans une atmosphère de frustration adolescente urbaine, le hardcore porte une contestation sociale, le black metal tire sa hargne d’une haine nihiliste concrète, le djent au contraire est plus détaché des émotions, les musiciens ont un look lambda, les paroles sont symboliques, sans message à faire passer. Reste une pûre construction musicale, plus proche de ce fait du jazz/rock ou du prog que d’autres genres du metal attachés à une symbolique. C’est par ailleurs quand même une musique proche du monde des jeux-vidéos, de l’informatique et d’internet en général, avec des liens directs avec la culture geek.


INFLUENCES

La principale est clairement Meshuggah, groupe hors norme, en avance sur son temps, qui sera resté quasiment seul dans la niche musicale qu’il a créé, metal extrême prenant sa source dans le thrash, déboulonnant complètement le format hérité du rock que le metal suivait jusqu’alors, proposant un metal puissant, froid, déshumanisé, à la fois déstructuré par ses mesures asymétriques et structuré par ses riffs de guitares scotchés aux martèlements de la batterie.

Paradoxalement, le djent s’inspire à la fois de ce son agressif et froid et d’autres plus mélodiques et redonnent ainsi à cette musique une part de musicalité classique et d’efficacité rock. Le jeu de guitare virtuose de Sikth, en particulier quand il s’emballe en tapping dans des riffs entrecroisés à 2 guitares, celui des groupes metal avec des influences jazz/fusion, par la présence d’arpèges clairs bourrés d’effets sur des progressions d’accord jazzy, les solos de guitare des shredder des 90s également, sans oublier la musique ambient en général, omniprésente dans certains groupes.

Textures peut être considéré comme un des précurseurs pour avoir le premier mis au gout du jour la confrontation entre riffs saturés polymétriques et ambiances mélodiques, mais également des groupes comme Benea Reach, A Life Once Lost, Coprofago ou Mnemic, chacun pour des raisons différentes.

QUELS GROUPES?

Il est à noter que Periphery comme Tesseract ont commencé à faire des concerts et apparaître sur des tournées avec des têtes d’affiche connues avant même d’avoir enregistré leur 1er album, développant ainsi une base de fans sur la base seule de démos et de prestations live. Avec un seul album au compteur, Periphery est clairement le groupe le plus connu dans le lot, ayant aujourd’hui effectué des tournées partout dans le monde et  joué dans des salles énormes, en première partie de Dream Theater.

D’autres musiciens ont travaillé seul, les projets instrumentaux Animals as Leaders (Tosin Abasi, Maryland, USA), Chimp Spanner (Paul Ortiz, UK) et Cloudkicker (Ben Sharp, Ohio, USA), pour les plus pertinents, en sont le résultat, les 2 premiers étant désormais devenus des groupes qu’on peut voir en concert. On peut évoquer 2 groupes qui se sont attachés au terme djent (quoiqu’ils utilisent également le mot « Thall » comme un pied de nez), les suédois de Vildhjarta et les français de Uneven Structure qui sortent chacun une démo de qualité dès 2009. Les quasi-défunts Monuments et Fellsilent sont 2 groupes anglais à mentionner pour leur présence dès les débuts.

A côté de ça il y a des groupes assez inclassables qui émergent actuellement – Corelia, Stealing Axion, Ever Forthright, Last Chance to Reason pour les meilleurs – dont la musique possède des éléments qui les lient à ce mouvement. Je ne peux éviter de mentionner une tripotée de groupes deathcore qui s’y mettent petit à petit suite à l’impasse de ce style et ses égarements « crabcore ».

On peut noter que le choix de noms de groupes « djent » sont éloquents, des figures géométriques, élémentaires, et participent à donner l’impression d’un genre musical moderne, parfois avec une vocation futuriste même, la scien-fiction étant un thème récurrent.


ALBUMS

Les albums majeurs à l’heure actuelle pour moi :

PeripheryPeriphery [2010]
Animals As LeadersAnimals As Leaders [2010]
CloudkickerBeacons [2010]
Chimp SpannerAt the Dream’s Edge [2010]
TesseractOne [2011]
VildhjartaMåsstaden [2011]
Uneven StructureFebruus [2011]

Nos chroniques :

Periphery – S/tPeripheryPeriphery [2010]
Sumerian Records
Animals as Leaders – Animals as Leaders
Animals As LeadersAnimals As Leaders [2010]
Prosthetic Records
Cloudkicker – BeaconsCloudkickerBeacons [2010]
Auto-production
Vildhjarta – MåsstadenVildhjartaMåsstaden [2011]
Century Media Records
Uneven Structure – FebruusUneven StructureFebruus [2011]
Basick Records
Cloudkicker – BeaconsTesseractConcealing Fate EP [2010]
Century Media Records
Corelia – NostalgiaCoreliaNostalgia EP [2011]
Auto-production
Chimp Spanner – All Roads Lead HereChimp SpannerAll Roads Lead Here [2010]
Century Media Records

 

EN VIDEOS

Histoire de montrer que ces groupes se distinguent également sur scènes, quelques vidéo live. On peut également noter le concept récurrent de vidéos « play-through », vidéo prise à la va-vite et publiée sur le net où certains ou tous les musiciens d’un groupe présentent la façon dont ils jouent leurs compositions sur leurs instruments.

Periphery

http://www.youtube.com/watch?v=kH9KFHHRCGo

(voir aussi http://www.youtube.com/watch?v=jyEKUJwIf3w)

Chimp Spanner – Mӧbius Pt I (guitar play-through)

(voir aussi un live à Moscou)

Tesseract – Concealing Fate Part 2 – Deception (live en studio)

Vildhjarta – concert entier à Moscou

Uneven Structure – concert entier à Moscow

http://www.youtube.com/watch?v=fvSvWeSk5aU

Ever Forthright, play-through en répète

http://www.youtube.com/watch?v=7FdA-W3lJbU

jonben

Chroniqueur

jonben

Krakoukass et moi avons décidé de créer Eklektik en 2004 suite à mon installation à Paris, alors que disparaissait le webzine sur le forum duquel nous échangions régulièrement, ayant tous deux un parcours musical proche entre rock et metal, et un goût pour l'ouverture musicale et la découverte perpétuelle de nouveautés. Mes goûts se sont affinés au fil du temps, je suis surtout intéressé par les groupes et styles musicaux les plus actuels, des années 90s à aujourd'hui, avec une pointe de 70s. J'ai profité pendant des années des concerts parisiens et des festivals européens. J'ai joué des années de la guitare dans le groupe Abzalon. Mes styles de prédilection sont metal/hardcore, death technique, sludge/postcore, rock/metal prog, avec des incursions dans le jazz fusion et le funk surtout, depuis une île paumée de Thaïlande. 

jonben a écrit 528 articles sur Eklektik.

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6 Commentaires

  1. Thall says:

    Thall! :)

  2. Guillaume says:

    Pas de Veil of Maya? Inégaux ces groupes je trouve mais il y en a quelques uns de très bons, l’album de Vildhjarta est grandiose.

  3. Rémi says:

    « elle a pris son envol avec le Drumkit From Hell (développé avec le batteur de Meshuggah pour Catch 33 en 2005) »

    Tout petit détail, on l’entendait déjà sur les titres War et Concatenation sur Rare Trax (2001):
    «  »War » was the first Meshuggah song to feature programmed drums. Meshuggah utilized programmed drums for the first time also for the release Catch 33, with the exception of two songs from 2001’s compilation Rare Trax »

  4. Hycare says:

    Merci d’avoir mis des mots sur ce que je ressentais en écoutant Meshuggah et de m’avoir fait découvrir ces quelques groupes….! ;)

  5. Stirner says:

    Sympa et intéressant.

  6. SG says:

    Bonjour,
    oui merci d’avoir tout aussi bien expliqué

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